À Novossibirsk, dans le centre de la Russie, où 40 % des postes de policiers patrouilleurs sont vacants, des hommes vêtus de noir et armés de matraques font irruption sur un chantier, embarquent des ouvriers migrants et les conduisent à la police pour un contrôle d’identité. La scène, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, est devenue banale.
Ces “interventions” sont menées par des groupes de civils issus d’organisations nationalistes d’extrême droite. Le plus influent d’entre elles est Rousskaïa Obchtchina (“Communauté russe”), qui a profité de l’effondrement des effectifs policiers mobilisés ou attirés par des primes militaires plus élevées. Selon le quotidien new-yorkais The Wall Street Journal, ce groupe de citoyens vigilants revendique “150 sections réparties sur les 11 fuseaux horaires que compte la Russie”.
“Disposés à prêter main-forte”
Dans certaines villes, jusqu’à la moitié des effectifs de police a disparu. Selon le ministère de l’Intérieur russe, cité par le journal américain, l’État a perdu 33 000 agents en un an, et peine à en recruter 172 000 autres. Tandis que le FSB, service de sécurité intérieure russe, concentre ses efforts sur la lutte contre les actes de sabotage ou la dissidence antiguerre, le maintien de l’ordre quotidien est, de fait, délégué à ces milices improvisées.
Dans ce vide sécuritaire, Rousskaïa Obchtchina prospère. L’organisation se présente comme une association patriotique. Elle nettoie des parcs, intervient dans des disputes de voisinage, surveillant les rues de Sibérie la nuit. “Nous avons compris que la police manquait d’effectifs, justifie Andreï Tkachuk, élu local et cofondateur du groupe. Nous sommes disposés à prêter main-forte.”
Mais cette initiative dépasse souvent le simple soutien aux forces de l’ordre. Selon The Wall Street Journal, des membres du groupe ont mené des descentes dans des logements de migrants, interrompu des soirées LGBTQ +, organisé des raids contre des clubs de nuit ou encore transporté de force des gens vers les bureaux de conscription.
Les autorités russes, elles, ne condamnent pas ces pratiques. Au contraire, le président du Comité d’enquête russe (l’institution fédérale chargée des principales investigations en Russie) a publiquement salué ses actions qui servent d’exemples à d’autres régions. Dans l’Extrême-Orient russe, le gouverneur du kraï du Primorié a créé une unité de volontaires appelée Tigre et composée de vétérans de la marine. À Tioumen, dans l’Oural, d’anciens soldats patrouillent sous le nom Rousskaïa Droujina (“Compagnie russe”) avec l’aide de Konstantin Malofeïev, oligarque russe partisan du séparatisme en Crimée occupée.
“Cela pourrait aussi se retourner contre l’État russe puisqu’il est en train de déléguer son monopole de la violence”, alerte Vera Alperovich, experte au centre Sova, spécialisé dans l’étude du racisme et de la xénophobie. Dans un pays où près de 200 minorités officielles cohabitent, le recours à des groupes prônant un nationalisme est “à double tranchant”, note le quotidien américain. D’autant plus que cette prolifération de milices, qui s’attaquent aux minorités, va à l’encontre du discours officiel de Moscou justifiant la guerre contre l’Ukraine censée “lutter contre le fascisme”.