Publié le
23 juil. 2025 à 6h04
Il faut oser s’y aventurer. S’affranchir de l’angoisse d’affronter la vieillesse et du temps qui passe. Se départir des clichés qui collent à la peau des résidences pour personnes âgées et accepter l’inattendu. Oui Madeleine vient faire sa sieste tous les jours à 14 heures sur l’un des fauteuils du petit espace de coworking. Oui il faut faire avec, lorsque le karaoké débute et que les tubes Mike Brant résonnent au rez-de-chaussée. Et oui, il faut savoir interrompre Daniela dans son flot de paroles à la machine à café. Mais l’initiative d’Arbitryum, proposer des places de coworking dans des Ehpad, vaut le coup d’exister et d’ouvrir ces établissements – et ses résidents, au monde extérieur. actu Paris vous emmène dans une de ces drôles de colocations. Reportage à La Pirandelle, dans le 13e arrondissement de Paris.
Des espaces pour les secteurs de la santé, l’ESS ou la silver économie
Autour de la borne de musique Mélo – sorte de jukebox des temps modernes- une petite grappe de résidents écoute religieusement le chanteur de Laisse-moi t’aimer. À quelques tables de là, des têtes grises s’appliquent lors d’une session coloriages quand d’autres devisent en tête-à-tête. Ce lundi 21 juillet 2025, un joyeux brouhaha règne dans le grand rez-de-chaussée de La Pirandelle que Rémi traverse de temps en temps pour profiter de la machine à café. Le trentenaire prépare une thèse sur les directeurs d’Ehpad. Il est l’un des sept « coworkers » à bénéficier d’un bureau dans la résidence.
Depuis quelques années, Arbitryum, une entreprise qui accompagne les Ehpad « sur leurs enjeux humains et organisationnels », expérimentent l’implantation de bureaux dans les maisons de retraite.
« Les cibles de nos espaces sont les entreprises qui travaillent dans la santé, la silver économie ou l’économie sociale et solidaire », expose Mathilde Boulet, responsable du projet au sein d’Arbitryum.
L’idée est d’offrir un espace où travailler à un prix raisonnable. Compter 300 euros par mois pour un espace de sept places dans le 13e ou 500 euros dans le 18e arrondissement, contre 690 euros par mois par poste en moyenne selon Ubiq, plateforme spécialisée dans la recherche de bureau flexible. Mais là n’est pas le cœur de l’initiative.
Une intégration pensée et accompagnée
« L’Ehpad n’est pas un lieu neutre et nous accompagnons les coworkers pour leur intégration. Ils doivent notamment suivre une formation sur le quotidien dans ces établissements. On leur explique que le matin est souvent dédié aux soins. Par conséquent, s’ils s’adressent aux équipes elles peuvent être plus pressées que d’habitude. Certaines choses sont à savoir comme les problèmes de déglutition des résidents et la nécessité de leur donner de l’eau gazeuse s’ils réclament un verre. On fait également un point sur les troubles cognitifs qu’ils peuvent rencontrer », détaille Mathilde Boulet.
Arbitryum ne cherche pas des locataires à la journée mais des entreprises prêtes à tisser un lien sur le long terme avec les résidents. Contrairement à certaines colocations intergénérationnelles qui essaiment en Île-de-France, aucun bénévolat n’est demandé en contrepartie. « Ce n’est pas nécessaire, les échanges se font spontanément », assure la chargée de projet.
Rémi et Daniel à l’Ehpad La Pirandelle, lundi 21 juillet 2025. (©MAM / actu Paris)
Pour Cromwell, aide-soignant de l’établissement depuis 2003, l’arrivée des travailleurs a été un petit événement. « Au départ ça a éveillé la curiosité de tous les résidents puis, maintenant, ils font partie du paysage », glisse-t-il.
« On discute, ça fait du bien », livre tout sourire, Daniel, septuagénaire et ancien jardinier à la ville de Paris. L’occasion pour lui de raconter ses belles années passées aux Buttes-Chaumont ou à Montsouris à une oreille attentive.
« Cette initiative est géniale mais elle se prépare en amont avec les familles et les équipes, avertit Carole Jublot, directrice de La Pirandelle. On peut aussi le voir comme une forme de message, d’ouvrir les résidences à des personnes extérieures. » Une transparence revendiquée alors que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes traversent une crise sans précédent et souffrent d’un manque de financement.
Pour le moment, seuls trois Ehpad parisiens proposent des places en coworking. Deux établissements rejoindront l’initiative en août au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne) et en septembre (dans le 15e arrondissement de Paris). Arbitryum espère ensuite ouvrir d’autres Ehpad dans le reste de la France.
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