Par

Antoine Blanchet

Publié le

23 juil. 2025 à 7h12

Journée tranquille pour Serge* ce 5 mai 2025. Cet homme de 75 ans marche dans les rues de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), lorsqu’une drôle de sensation parcourt son dos. Un drôle de liquide jaunâtre est en train de s’étendre sur ses vêtements. Pas de chance, se dit le septuagénaire, qui pense à une fiente d’oiseau. Un couple s’approche alors pour l’aider à retirer ces déjections lâchées par le volatile malveillant. Serge se laisse faire. Le sympathique couple essuie l’épiderme sali du vieil homme et s’en va. Et soudain, stupeur pour le septuagénaire. Le collier à son cou et le bracelet à son poignet ont disparu. 

Un Tour de France de la tache 

L’homme délesté de ses bijoux a été victime d’un vol à la tache. Cette technique d’arnaque vicieuse, Juan Carolos T. et Jessica E. s’en sont rendus spécialistes. Paris, Tours, Montpellier… Pendant plus d’un mois, le frère et la belle-sœur ont écumé l’hexagone armés de mayonnaise pour dépouiller les seniors. Au total : 12 victimes, âgées de 66 à 92 ans. À plusieurs reprises, le couple était accompagné d’un chauffeur afin de franchir les départements et d’imbiber de sauce leurs nombreuses cibles. Loin d’être des amateurs, les malfaiteurs disposaient d’une pierre de touche pour évaluer la teneur d’or dans leur butin. 

D’intenses investigations 

Ces nombreuses taches ne sont pourtant pas passées inaperçues pour le décapant judiciaire. De multiples plaintes sont déposées et une enquête est ouverte dès le 12 juin après des faits commis à Paris. Les enquêteurs de la sûreté territoriale parisienne parviennent à identifier la voiture utilisée par les escrocs. Le véhicule, ainsi que deux autres, ont été loués à l’aéroport d’Orly dans le Val-de-Marne. De cette transaction, les policiers parviennent à obtenir un numéro de téléphone, laissée par la femme du couple. 

Ce fil chiffré est tiré sans relâche. Les agents parviennent à suivre les pérégrinations de l’équipée. La mayonnaise délictueuse tourne jusqu’au 10 juin. Le couple et le chauffeur sont interpellés dans la capitale. Un quatrième homme, conjoint de la femme impliquée dans les vols, est aussi placé en garde à vue pour sa participation à plusieurs larcins. 

Des prévenus qui avaient besoin d’argent

Ce mardi 22 juillet 2025, tout le monde est dans le box. Un traducteur transmet les larmoyantes justifications du quatuor originaire du Pérou. « Je voulais trouver une maison pour ma fille qui vit en Italie et se fait maltraiter par son conjoint », assure Juan-Carlos T., 38 ans et père de 12 enfants. « C’était pour aider mes parents malades. Ils sont diabétiques. Ma mère a la tuberculose », se lamente Jessica E., 40 ans. « C’était pour financer l’opération de ma femme », raconte le chauffeur. Le conjoint de la prévenue déclare avoir agi par amour.

Vivant en Espagne et en Italie, les deux principaux prévenus sont arrivés un peu avant les faits. Pendant plusieurs heures, le tribunal a tenté de comprendre le fonctionnement de cette organisation bien rodée. Les explications sont floues. Une rencontre dans un « parc de la mort » entre les protagonistes est évoquée. Celle d’un mystérieux organisateur « qui les menace » aussi. Avares en détails, les prévenus sont prolixes en excuses. « Je regrette profondément et je m’excuse auprès des victimes. Je le regrette de tout mon cœur », abonde Juan Carlos T.. 

« J’ai été très con »

Un autre pan du dossier jugé ce jour concernait le recel. Pendant leur mois d’aspersion, les prévenus sont entrés en contact avec le gérant d’une boutique de rachat d’or située dans le 8e arrondissement de la capitale. De multiples appels sont passés et des photos sont échangées. Une perquisition est effectuée et surprise : des chaînes en or sont découvertes dissimulées au sous-sol dans un luminaire. 

À l’autre bout du box, le patron du magasin est interrogé par le tribunal. Il réfute tout recel, mais reconnaît une transaction. « Le monsieur – Juan-Carlos T.- est venu plusieurs fois pour estimer des bijoux qui n’étaient qu’en métal. Il n’avait de carte d’identité donc je ne lui ai rien acheté au départ. Mais il venait avec sa petite fille et avait l’air gentil. Je lui ai acheté deux chaînes en espèces pour 1 800 euros. J’ai été très con », relate le prévenu. 

De lourdes peines requises 

Pour le procureur, le quatuor fait partie d’une délinquance récurrente : les vols organisés en Europe par des ressortissants d’Amérique du Sud. « C’est un phénomène qui s’est accéléré puis 2020 », indique le ministère public en guise de préambule dans son réquisitoire. Le magistrat l’affirme, ce sont des petites mains, mais des petites mains expertes : « Je pense qu’ils sont sincères lorsqu’ils évoquent leurs difficultés, mais nous sommes loin de faits improvisés pour résoudre des problèmes financiers ».

En guise de peine, le procureur requiert trois ans de prison ferme avec maintien en détention pour le couple de voleurs à la tache. Le chauffeur se soit requérir deux ans ferme et le conjoint de la prévenue un an. Quant au receleur présumé, une peine de 18 mois de prison ferme est aussi requise. 

« Il n’y a pas d’atteinte physique »

À la défense, on met en avant les existences difficiles des prévenus. « Les étrangers qui viennent en France, ce n’est pas pour voler, mais pour avoir une vie meilleure. Mon client, il est père de 12 enfants en Italie. Il faut bien les nourrir », argue le conseil de Juan Carlos T.. « Elle est mère de trois enfants et a subi des violences de la part de son compagnon. Elle s’est réfugiée dans l’alcool », égrène l’avocate de Jessica E..

On met aussi en avant la méthode, dénuée de violence : « Il n’y a pas d’atteinte physique. Pas de menaces. Pas de traumatisme », affirme l’une des avocates de la défense. Selon les pénalistes, les victimes auraient été choisies pour leurs bijoux, non leur âge. On pointe du doigt la mise dans le même panier judiciaire les ressortissants d’Amérique du Sud. Pour l’ensemble des prévenus, on demande des peines plus légères assorties du sursis. 

Finalement, le tribunal a été moins sévère que les réquisitions. Le couple et le chauffeur sont condamnés à deux ans de prison. Le frère et conjoint, moins impliqué, est condamné à huit mois de prison. Les quatre ressortissants français se voient interdire le territoire français pendant dix ans. Quant au receleur, une peine de 12 mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende a été prononcée à son encontre. 

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