Alors que de nombreux sites souffrent du surtourisme, le Réseau des Grands Sites de France a édité un guide de bonnes pratiques pour une communication digitale plus ancrée dans la réalité.

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Des petites criques avec une eau turquoise et des couleurs saturées qui donnent envie de s’y baigner, mais arrivé sur place pas un centimètre de plage où poser sa serviette. Des photos de champs de lavande à perte de vue dont l’envers du décor est une file d’attente pour prendre cette fameuse photo… autant d’exemples de surtourisme parfois engendré par les réseaux sociaux.

Pour limiter ces effets, le Réseau des Grands Sites de France a ciblé les créateurs de contenus mais aussi leurs clients commanditaires de ces publications, pour les encourager à une meilleure communication digitale. Deux guides ont ainsi été édités, l’un à destination des influenceurs, sorti en mars dernier et le petit dernier, publié en juillet dernier, pour les commanditaires.

« Nos sites sont très photogéniques et classés justement pour leur beauté », explique Marie Lescour, chargée de communication des Grands sites de France, il faut trouver l’équilibre entre l’accueil des visiteurs, la préservation des paysages et le respect de la vie locale. »

Ils sont partis du constat d‘une étude publiée à l’automne dernier selon laquelle plus de la moitié des 18-24 ans choisissent une destination après l’avoir découverte sur les réseaux sociaux, « ce qui montre bien le rôle important de ces créateurs de contenu, ils influencent sur les destinations et sur la manière de les visiter. Cet impact très fort qu’ils ont peut-être négatif, mais aussi positif. Ils ont un rôle à jouer dans la transformation du tourisme, affirme la représentante des Grands sites de France.

Ce guide délivre des conseils très pratiques, comment bien choisir son influenceur, comment le briefer et le guider. « Par exemple on recommande de donner du temps au créateur de contenu pour qu’il s’imprègne vraiment du lieu. De façon très concrète on préconise de ne pas faire plus d’une activité par demi-journée », ajoute-t-elle.

Pour les influenceurs eux-mêmes, le guide d’inspiration présente des comparaisons entre une bonne et une mauvaise photo : celle d’un agriculteur qui récolte de la lavande pour rappeler que c’est avant tout une activité professionnelle ou bien celle d’un marcheur sur un sentier balisé plutôt qu’au bord d’une falaise à un endroit interdit et dangereux.

Dans son guide d'inspiration, le Réseau des Grands sites de France montre les bons et mauvais exemples de photos publiées.

Dans son guide d’inspiration, le Réseau des Grands sites de France montre les bons et mauvais exemples de photos publiées.

© Réseau des Grands sites de France

Parmi les bonnes pratiques, celle de montrer quelqu'un marchant sur un sentier balisé.

Parmi les bonnes pratiques, celle de montrer quelqu’un marchant sur un sentier balisé.

© Réseau des Grands site de France

Sans oublier le lien avec le territoire en privilégiant les publications montrant une vraie rencontre avec les acteurs locaux, les producteurs et une consommation de leurs produits. Un comportement qui permet également une meilleure acceptabilité du tourisme par les locaux.

Enfin pour renforcer le côté tourisme responsable et durable, le guide préconise de valoriser les mobilités douces, que ce soit dans la façon dont on fait venir l’influenceur sur place, mais aussi celles mises en avant dans les publications : une balade en paddle plutôt qu’en jet ski par exemple.

En plus des guides, les Grands sites de France ont imaginé un poster qui pourrait être affiché dans les offices de tourisme, à destination du grand public « nous sommes tous des porteurs de parole sur les réseaux sociaux et le grand public mime les codes générés par les créateurs de contenu », ajoute Marie Lescour.

Une seule photo postée peut vraiment avoir un impact

Marie Lescour – Responsable communication des Grands sites de France

Des photos qui bouleversent des villages, la presse en relate des tas d’exemples. Comme la petite commune de Nans-les-Pins, dans le Var, qui en 2019 se retrouvait envahie de touristes allant jusqu’à bloquer les accès pompiers avec leurs véhicules, à la suite d’une simple publication Facebook. Le préfet avait même été saisi pour trouver une solution.

Reportage en 2019 :

Toujours dans le Var, il y a trois ans, c’est Sillans-la-Cascade qui se retrouvait contrainte d’aménager des parkings et sentiers pour mener à sa fameuse cascade tant mise en valeur sur les réseaux sociaux.

Dans les Alpes-Maritimes, le village d’Eze est l’exemple typique d’un site remarquable aux rues étroites bondées de visiteurs l’été et il suffit de quelques clics pour trouver de nombreuses photos mettant en valeur le village perché de 2 500 habitants. Mais pour l’heure, la mairie n’envisage pas de quotas et a construit un nouveau parking de 350 places.

Alors sensibiliser la population à travers des créateurs de contenu prend tout son sens. « Nous ne voulons pas donner des leçons, au contraire on valorise ces influenceurs qui tiennent un vrai rôle dans l’évolution du tourisme » insiste Marie Lescour.

Parmi ces influenceurs valorisés, il y a Vanessa Martin ou « Cash Pistache », c’est elle qui est prise en exemple pour son traitement de la lavande à Valensole. « Mon fil conducteur, c’est de raconter des expériences authentiques, incarnées, souvent hors des sentiers battus. J’essaie de transmettre l’envie de découvrir des lieux moins connus en les rendant précieux, uniques. Vous n’allez pas vivre la même chose que tout le monde et c’est justement ça qui a de la valeur. Je cherche aussi l’esthétique dans l’authenticité : un savoir-faire, un détail de patrimoine, un artisan au travail… On vit dans une société qui perd ses métiers, ses gestes, ses traditions », raconte-t-elle.

Cette ancienne artiste peintre et professeure d’art-plastique ne partage jamais en temps réel, pour garder du recul et réfléchir à ses publications. Pleinement consciente de l’effet que peuvent avoir les réseaux sociaux sur le surtourisme elle approuve pleinement l’initiative d’un guide de bonnes pratiques.

Les territoires ont une très bonne connaissance de leur fragilité et de leurs enjeux locaux. Ce sont eux qui peuvent nous alerter sur les sites sensibles, les périodes à éviter, les comportements à encourager. Pour un visiteur lambda, ce n’est pas toujours évident à anticiper. En tant que créateurs, on peut ensuite faire le relais. C’est un vrai travail d’équipe, qui fait sens.

Vanessa Martin – Créatrice de contenu pour Le Blog Cash Pistache

Vers un contenu plus authentique et proche de la réalité donc qui serait justement ce que recherche l’utilisateur. D’après ses observations, ce sont justement « les contenus les plus sincères et incarnés qui trouvent le plus d’écho. Quand on raconte un lieu avec respect et passion, le message passe. Et c’est peut-être ça, aujourd’hui, le vrai pouvoir des créateurs de contenu : ouvrir les yeux, éveiller les consciences, tout en gardant l’émotion au cœur du récit. »

Mais il est parfois difficile de trouver l’équilibre entre une demande de promouvoir un territoire sans que celui-ci ne se retrouve ensuite envahit de touristes. Surtout concernant justement ces lieux un peu secrets, bons plans des locaux qui peuvent permettre à un créateur de contenu de se démarquer.

Kaouthare El Abassi tient un blog de voyage depuis dix ans et elle ne s’en cache pas, « j’y réfléchis toujours à deux fois avant de présenter un lieu car on a trop partagé d’endroits calmes qui deviennent ensuite saturés. »

Elle prend pour exemple la plage de La Mala à Cap d’Ail, « il y a dix ans il n’y avait personne car seuls les locaux savaient y aller, aujourd’hui, l’été, c’est inaccessible. » Alors il y a certains endroits qu’elle décide de garder pour elle, pour que ça garde son aspect calme et paisible.

Parfois il y a aussi une dissonance entre l’envie des responsables politiques de promouvoir le tourisme et l’aspiration à rester au calme des locaux. Kaouthare El Abassi s’est déjà retrouvée dans une drôle de situation alors qu’elle était invitée pour promouvoir la destination Saint-Malo, juste après l’ouverture de la ligne à grande vitesse entre Paris et la ville bretonne. « Le train a dû s’arrêter à l’arrêt avant Saint-Malo pour faire descendre le maire, afin qu’il évite les manifestants anti surtourrisme à l’arrivée » se souvient-elle.

De son côté, fidèle à son envie d’authenticité, elle a suivi en partie le voyage organisé mais s’est laissé une marge de manœuvre, « je me suis perdue dans les petites rues et suis tombée sur une crêperie qui me plaisait bien, ce sont les meilleures crêpes que j’ai pu manger », raconte celle qui a finalement annulé la réservation dans le restaurant prévu par l’office de tourisme. Elle est adepte du « slow tourism », prôné dans le guide, qui consiste à prendre son temps de voyager et profiter.

Toutes ces interlocutrices partagent un point fort : il faut se mettre à la place du voyageur qui veut du réel. « Je n’ai pas envie de conseiller des gens en leur disant que c’est génial et magnifique et qu’ils soient ensuite déçus », conclut Kaouthare El Abassi.