Ils s’appellent Bashar et Ahlam. Ils sont journalistes et comme huit autres collègues, ils collaborent avec l’Agence France-Presse (AFP) depuis la bande de Gaza. Ils sont parmi les dernières voix à pouvoir encore témoigner de ce qu’il se passe dans cette zone dont ils ne peuvent sortir et où la presse internationale est interdite. Lundi 21 juillet, la société des journalistes (SDJ) de l’AFP alerte dans un communiqué que «sans intervention immédiate, les derniers reporters de Gaza vont mourir».
Bashar collabore pour l’AFP depuis quize ans. Il a débuté comme fixeur (traducteur et intermédiaire pour d’autres journalistes), puis comme photographe pigiste, avant de devenir photographe principal en 2024. «Je n’ai plus la force de travailler pour les médias. Mon corps est maigre et je ne peux plus travailler», a-t-il écrit sur Facebook le samedi 19 juillet.
«Bashar, 30 ans, travaille et vit dans des conditions égales à celles de tous les Gazaouis, allant d’un camp de réfugiés à un autre camp au gré des bombardements israéliens», décrit la SDJ. Le journaliste vit désormais avec sa famille dans les ruines de sa maison, à Gaza City, sans aucun confort excepté quelques coussins. Dimanche, son frère est «tombé à cause de la faim» et Bashar a publié se sentir «vaincu», «pour la première fois». Ahlam, elle, survit dans une tente au sud de Gaza. «Le plus gros problème, confirme-t-elle [à l’AFP], c’est le manque de nourriture et d’eau».
Le communiqué affirme que l’AFP continue à verser un salaire à ses journalistes palestiniens mais «il n’y a rien à acheter ou alors à des prix totalement exorbitants. Le système bancaire a disparu». Sans possibilité de se procurer de l’essence et d’avoir un véhicule, «les reporters de l’AFP se déplacent à pied ou en charrette tirée par un âne». Dans ces conditions, l’agence l’affirme : «Nous refusons de les voir mourir.» «Nous voyons leur situation empirer. Ils sont jeunes et leur force les quitte, écrit la SDJ. La plupart n’ont plus la capacité physique de parcourir l’enclave pour faire leur métier. Leurs appels au secours, déchirants, sont désormais quotidiens.» L’Agence France-Presse craint «d’apprendre leur mort à tout moment».
Sur X, la direction de l’AFP déclare partager «l’angoisse exprimée par la SDJ quant à la situation effroyable de ses collaborateurs dans la bande de Gaza». Après avoir réussi à faire évacuer ses huit salariés de Gaza, ainsi que leurs familles, entre janvier et avril 2024, l’AFP s’évertue à faire de mêmes pour ses collaborateurs pigistes «malgré l’extrême difficulté de sortir d’un territoire soumis à un blocus strict».
Sur France Inter mardi 22 juillet, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot dit s’être saisi «de cette question», et avoir «bon espoir de pouvoir, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises dans des conditions extrêmement éprouvantes et exigeantes, faire sortir quelques collaborateurs de journalistes dans les prochaines semaines.» Il a ajouté demander «que la presse libre et indépendante puisse accéder à Gaza pour montrer ce qu’il s’y passe et pour en témoigner».
«Depuis que l’AFP a été fondée en août 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n’a le souvenir d’avoir vu un collaborateur mourir de faim», conclut la SDJ de l’AFP. Les Gazaouis sont en permanence tiraillés entre le fait d’aller chercher de l’aide alimentaire, restreinte à Gaza et où ils risquent d’être victimes de tirs d’Israël, et mourir de faim. Dimanche encore, 93 personnes ont été tuées dans des tirs israéliens alors qu’elles essayaient de récupérer de l’aide humanitaire.
Israël a juré de détruire le Hamas et a lancé en représailles des massacres du 7 Octobre une offensive destructrice dans laquelle au moins 58 895 personnes, majoritairement des civils, ont été tuées, selon des données du ministère de la Santé à Gaza, jugées fiables par l’ONU. Reporters sans frontières estime qu’environ 200 journalistes ont été tués à Gaza, dont 43 dans l’exercice de leurs fonctions.