Par
Léa Pippinato
Publié le
23 juil. 2025 à 12h43
Élise a créée Bonjour Basile, des pantalons qui s’adaptent aux morphologies des femmes (©Métropolitain)
Élise Pillet n’a pas fondé Bonjour Basile pour suivre une mode ou capitaliser sur une niche. Elle l’a fait parce qu’un jour, elle n’a pas réussi à s’habiller. Ce jour-là, elle devait se rendre à un mariage à Paris. Un an après sa grossesse, elle cherchait un pantalon dans lequel elle se sentirait bien, belle, simplement elle-même. Elle a fait dix boutiques. Aucun pantalon ne lui allait. Trop serré à la taille, trop court aux jambes, trop étroit aux cuisses. « J’ai fini avec un élastique moche et sans forme », dit-elle en riant aujourd’hui. « Mais ce n’est pas drôle quand ça vous arrive. »
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Ce jour-là, elle s’est promis une chose : plus jamais. Et ce n’est pas une lubie passagère. Élise Pillet connaît le vêtement de l’intérieur. Styliste depuis plus de vingt ans, elle a travaillé pour Teddy Smith, Kaporal, Little Marcel, et dessiné des collections entières. Elle a appris à grader des modèles, à composer des silhouettes, à jongler avec les contraintes industrielles, mais sait aussi ce qu’elles impliquent : un effacement des corps non standardisés.
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Un problème invisible… qui concerne des millions de femmes
La question des tailles n’est pas qu’un détail technique. Elle est au cœur d’une exclusion silencieuse. « Les modèles sont mis au point sur du 34-36. On nous l’impose. Ensuite, on s’adapte. Mais à partir du 44, les marques abandonnent. Elles n’ont pas les outils, pas le savoir-faire ou pas l’envie. » Or, la moyenne des Françaises se situe entre le 40 et le 42. « On parle de grande taille dès qu’on dépasse le 42. Mais ce n’est pas une grande taille. C’est une taille. » Pire encore, les femmes très fines rencontrent elles aussi des obstacles. Celles qui font du 32 doivent s’habiller au rayon junior. « Et ce ne sont plus les mêmes coupes, les mêmes styles, ni les mêmes besoins. » Résultat : entre les tailles absentes, les vêtements mal coupés, ou ceux qui ne correspondent à aucune morphologie réelle, des millions de femmes se sentent exclues de la mode.
« Les modèles sont mis au point sur du 34-36. On nous l’impose. Ensuite, on s’adapte. Mais à partir du 44, les marques abandonnent. Elles n’ont pas les outils, pas le savoir-faire ou pas l’envie. »
Élise Pillet
Créatrice de Bonjour Basile
Élise Pillet a toujours été créative. Petite déjà, elle dessinait sans cesse. Un crayon dans une main, un pinceau dans l’autre. Elle a fait une maîtrise en arts plastiques avant de bifurquer vers la mode, plus ancrée dans le réel. Pourtant, quelque chose cloche. « On ne questionne pas les clientes. En cosmétique, on le fait : on leur fait tester les produits avant la mise sur le marché. En mode, non. On ne prend pas ce temps-là. On doit produire vite, beaucoup, pas cher. » Pour Bonjour Basile, elle a décidé de faire tout l’inverse. Elle passe un an à développer ses premiers modèles. « J’ai fait une dizaine de prototypes pour trouver la bonne coupe. Et au moins autant pour mettre au point le système technique. » Ce système, c’est sa signature : une ceinture auto-ajustable. Un double élastique caché, qui suit les mouvements du corps et compense les variations de poids naturelles : menstruations, ménopause, digestion, stress. « C’est comme un ressort. Il s’adapte sans qu’on ait à le toucher. »
15 tailles, 3 pays, 2 certifications, 0 compromis
La gamme Bonjour Basile repose sur une gradation inédite. Elle propose dix tailles de base, auxquelles s’ajoutent cinq tailles pour les morphologies en X. « On ne part plus d’un S ou d’un 40 abstrait, mais de deux mesures concrètes : le tour de taille et le tour de hanches. » À terme, Élise prévoit aussi d’intégrer la longueur de jambes. Les pantalons sont produits entre la Tunisie, le Portugal et la France. L’usine tunisienne est une entreprise familiale, certifiée Smeta, un label garantissant de bonnes conditions de travail, une production éthique et respectueuse. Elle s’occupe de tout sur place, jusqu’à la finition. Les tissus, eux, sont sourcés. Coton bio, élasthanne, denim doux. Certains proviennent de stocks dormants, des surplus d’industriels français, collectés par une start-up lyonnaise. Et parce que la santé importe autant que la planète, Élise choisit des matières labellisées Oeko-Tex, exemptes de substances potentiellement nocives.
« On ne part plus d’un S ou d’un 40 abstrait, mais de deux mesures concrètes : le tour de taille et le tour de hanches. »
Élise Pillet
Créatrice de Bonjour Basile
Chaque pantalon Bonjour Basile coûte entre 120 et 150 euros. Un tarif que la fondatrice assume pleinement. « Ce n’est ni du luxe ni du bas de gamme. C’est le prix juste pour un vêtement bien fait, qui dure, qui respecte les gens et les corps. Un pantalon à 20 euros, ce n’est pas un bon plan. C’est cher pour la planète, cher pour le corps, et cher pour le portefeuille. » Bonjour Basile ne se contente pas de proposer un vêtement mieux taillé. La marque porte aussi une vision. « C’est militant, oui. Parce qu’on fait trop de commentaires sur les corps des femmes. Comme si notre corps appartenait à tout le monde. » Elle se dit lassée des discours creux sur la diversité. « Le body positive, on en parle tous les cinq ans. Et ça disparaît. Aujourd’hui, dans les défilés ou les magazines, les corps restent toujours les mêmes. »
Une entreprise naissante, mais déjà solide
Élise Pillet n’était pas entrepreneure. Elle le devient et suit un parcours d’incubation avec Les Premières Occitanie, puis rejoint le BIC de Montpellier et l’accélérateur MBS. Elle y apprend à structurer un business plan, à pitcher, à chercher des financements. Aujourd’hui, elle est encore seule à bord. Mais elle avance. Les premiers pantalons seront proposés en boutique physique chez Mona Mour dès l’été. Les prochaines collections incluront d’autres coupes, d’autres couleurs, des shorts, et peut-être… des chemises. « Beaucoup de femmes m’ont parlé de leur difficulté à trouver des hauts adaptés. Trop de poitrine, pas assez d’épaules. On verra. » Et pourquoi pas une ligne pour hommes ? La demande existe. Mais elle préfère ne pas brûler les étapes.
D’ici fin 2025, Élise espère ouvrir un atelier-boutique à Montpellier. Elle y imagine des essayages, des ateliers, des discussions autour du vêtement et du corps. « Un endroit où les femmes peuvent venir, parler de leurs besoins, comprendre comment un vêtement est conçu. » Là aussi, il s’agit de reprendre le pouvoir. Et d’en finir avec la culpabilité.
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