Les portes du pénitencier, bientôt vont se refermer. En attendant, celles de la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) sont encore ouvertes, le temps de transférer la centaine de détenus désignés par le ministre de la Justice en raison de leur dangerosité, supposée ou avérée. Mardi, sept fourgons blancs de l’administration pénitentiaire sont arrivés en fin de matinée, escortés par des motards de la gendarmerie nationale jusqu’à l’entrée de l’établissement situé près de Lens. A l’intérieur, 17 prisonniers condamnés ou suspectés par la justice d’être impliqués dans des affaires liées au narcobanditisme, et qui sont désormais enfermés dans un quartier haute sécurité.
Me May Sarah Vogelhut défend l’un d’eux, placé jusqu’à présent à l’isolement dans une autre prison. « Il était tout seul. Ce qui change, peut-être pour le mieux, c’est qu’il est désormais dans une unité avec trois ou quatre autres détenus. Il pourra interagir avec d’autres êtres humains et aller en promenade avec eux. Il aura aussi accès à des activités, ce qui n’était pas le cas avant », explique cette avocate pénaliste parisienne à 20 Minutes. Elle dénonce au passage les conditions de détention draconiennes de cette super prison, imaginée et voulue par Gérald Darmanin après l’évasion de Mohamed Amra.
« Une peine de prison ne devrait pas faire ça »
A Vendin-le-Vieil, les détenus pourront toujours rencontrer leurs proches au parloir, mais derrière une vitre. Pour se parler, ils devront utiliser un hygiaphone. « Cela porte une atteinte considérable à la dignité humaine, au droit à une vie privée et familiale, poursuit Me Vogelhut. Je trouve ça inhumain, cruel, dégradant, destructeur. Quand on ne peut pas serrer ses proches, je pense que ça brise, ça détruit l’âme, la personnalité. Une peine de prison ne devrait pas faire ça. » La pénaliste déplore l’absence, dans la prison, d’unité de vie familiale, ces appartements meublés qui peuvent être mis à disposition des personnes détenues. « Cela brise des familles, des couples. C’est contre-productif car cela n’aide pas à préparer la réinsertion, pourtant l’un des objectifs de la peine. Il n’y a pas de perpétuité absolue en France, et ces détenus sortiront un jour ou l’autre. »
Autre différence avec des prisons classiques : l’utilisation du téléphone fixe n’est plus illimitée. Les détenus peuvent l’utiliser seulement deux fois 2 heures par semaine, et plus 24 heures/24 comme avant. « Quand vous êtes dans une oisiveté totale, que vous n’avez pas d’activité, que vous n’avez rien à faire de votre journée sauf regarder la télévision, vous passez du temps en appelant vos proches. Ça va être terrible », estime auprès de 20 Minutes Me Benoît David, qui défend notamment Mohamed Amra. Il revient sur les parloirs : « Les proches ne peuvent plus avoir avec eux de contact physique, une femme ne peut même pas tenir la main de son conjoint. Pourtant, il y a peu d’incidents avec les familles. »
« Fouille corporelle intégrale et systématique »
La nuit, ces détenus transférés dans le Pas-de-Calais « sont réveillés toutes les deux heures ». Ils feront aussi l’objet d’une « fouille corporelle intégrale et systématique après chaque rencontre » avec leurs avocats. « Ce sont des conditions dommageables pour les droits de la défense », insiste Me David, qui pointe aussi les « difficultés » pour les avocats de se rendre dans ce centre pénitentiaire « pour préparer les auditions ». Car, rappelle le pénaliste, une partie des prisonniers « n’ont pas encore été jugés et seront peut-être innocentés ». Afin de limiter les sorties, les détenus pourront être entendus à distance par les juges d’instruction. L’avocat redoute aussi qu’ils soient jugés en visioconférence depuis la prison, « ce qui est une justice très dégradée ».
Condamné à vingt-cinq ans de prison en première instance, le client de Me Vogelhut doit être jugé prochainement en appel devant la cour d’assises à Nice. « Il est hors de question qu’il soit jugé en visio », martèle l’avocate, qui craint les réticences de l’administration pénitentiaire à transférer le prévenu dans un autre établissement lors de ce nouveau procès. « On ne vous juge pas de la même manière. A l’audience, vous êtes inexistant, vous entendez la moitié des choses, on ne vous calcule pas. » Elle appréhende aussi le fait que son client porte cette affectation comme une « étiquette ». « Il y aura un préjugé, un pré-acquis que cette personne fait partie du crime organisé. »
Des transfèrements contestés
« Il y a une atteinte à la dignité humaine », persiste Me Vogelhut. Comme elle, d’autres avocats entendent contester le transfert de leur client à Vendin-le-Vieil devant le tribunal administratif de Lille. Me David compte pour cela s’appuyer sur une décision rendue lundi par la chambre d’application des peines de la cour d’appel de Douai concernant un autre de ses clients, déjà incarcéré dans cet établissement : le braqueur Redoine Faïd.
La justice a en effet estimé que ses conditions de détention sont « contraires à la dignité de la personne humaine ». « C’est une décision judiciaire intéressante », indique le pénaliste.