DÉCRYPTAGE – D’une présentation en grande pompe en 2021 à la dernière place du championnat quatre ans plus tard en passant par l’abandon du moteur Renault. Comment le projet Alpine F1 a coulé.
Dixième et dernière du championnat. C’est la position qu’occupe Alpine à la moitié de la saison 2025 de Formule 1. Douze courses et seulement dix-neuf points marqués. Pierre Gasly a inscrit la totalité des unités de l’équipe, il tire tout ce qu’il peut de sa faible monoplace, sans grand succès. C’est plus compliqué de l’autre côté du garage.
Comment expliquer une telle dégringolade pour une écurie qui terminait encore quatrième du classement il y a trois ans et qui affichait de très (trop) grandes ambitions ? Récit d’une chute spectaculaire mais pas si surprenante.
Une trop grande instabilité
Alors que la clé du succès dans l’élite du sport automobile est souvent la stabilité, voir les exemples Red Bull et Mercedes. Renault/Alpine n’a pas emprunté ce chemin. En 2020, Cyril Abiteboul était le visage du losange en F1. Au moment du changement d’identité de l’équipe l’année suivante (déjà pour redonner un élan au projet après l’échec du plan initial), l’ingénieur français est remercié malgré la signature de Fernando Alonso pour la saison suivante. Marcin Budkowski est nommé à sa place.
Le Polonais ne reste pas longtemps en poste. Il quitte Alpine F1 à la fin de la saison 2021, sur décision de Laurent Rossi, le président-directeur général du A fléché à l’époque. Le Français, placé sous Luca de Meo (le patron de Renault) dans l’organigramme et à qui il doit rendre des comptes, choisit de recruter Otmar Sznafauer.
Le Roumano-Américain avait fait ses preuves chez Force India, devenue Racing Point puis Aston Martin. Il amenait alors avec lui le sponsor BWT, censé apporter de gros revenus à Alpine. La saison 2022 se passe bien pour l’écurie franco-britannique qui négocie correctement le virage des nouvelles réglementations à effet de sol et termine quatrième du championnat derrière les intouchables Red Bull, Ferrari et Mercedes.
Alpine a terminé 4e du championnat constructeur en 2022 avec 173 points.
Le Figaro
Pour 2023, l’objectif était donc de consolider cette position et de se rapprocher des trois meilleures équipes. C’est raté, Aston Martin et McLaren passent devant et Alpine ne finit qu’à une décevante sixième place finale. En cours de saison à Spa-Francorchamps, Szafnauer est même viré à son tour. Le Français Bruno Famin, connu pour ses succès en endurance le remplace.
La même année, un groupe d’investisseurs, parmi lesquels Ryan Reynolds, s’engage dans le projet et injecte pas moins de 200 millions d’euros en s’offrant une participation à hauteur de 24% dans le capital de l’écurie. Une grande réussite financière qui ne sera jamais suivie d’effets sportifs.
Quelques mois plus tard, Laurent Rossi est aussi remercié. Il paye les mauvais résultats de l’équipe, lui qui avait fixé l’objectif de jouer le titre en cent courses. Les deux tiers étaient alors déjà passés. Cette pression du résultat est très souvent négative et infructueuse.
Le contre-exemple parfait est Williams, qui est en pleine reconstruction avec l’ancien de Mercedes James Vowles à sa tête. L’écurie de Grove ne s’est pas fixée d’année en particulier pour redevenir championne du monde mais préfère juger la progression sur le long terme. Un processus bien plus sain pour l’équipe et qui diminue la pression vis-à-vis des médias et des sponsors. Les Bleus sont actuellement cinquièmes du championnat.
Le retour de Briatore
Revenons au cas Alpine. Philippe Krief est choisi par Luca De Meo pour remplacer Laurent Rossi. Le nouveau patron du A fléché intervient moins dans les médias comme aimait le faire son prédécesseur mais la philosophie d’Alpine n’évolue pas pour autant. Après quelques mois à diriger l’équipe de course, Bruno Famin voit Flavio Briatore être mis dans ses pattes. Le sulfureux italien obtient le rôle de consultant exécutif.
Quelques semaines plus tard, le renvoi de Famin est annoncé, au profit d’Oliver Oakes. Cet Anglais de 36 ans à l’époque est également le dirigeant d’HiTech, une structure qui engage des monoplaces en F2 et F3 notamment et qui avait demandé à rejoindre l’élite auprès de la FIA. Une requête rejetée. Cette nouvelle arrivée suggérait alors une vente prochaine de l’équipe à ce businessman et ancien pilote mais en mai 2025, on apprenait son départ.
Flavio Briatore le remplaçait alors officiellement, même s’il avait déjà plus ou moins le contrôle de l’équipe. L’Italien a été directement placé par Luca De Meo. Dernière nomination en date, celle de Steve Nielsen, ancien commissaire à la FIA. Le vrai rôle du Britannique est encore flou, il a été intronisé comme directeur d’équipe. Il est peu probable qu’il ait une liberté opérationnelle avec Briatore dans les parages.
Une mauvaise gestion des pilotes
Lorsque Fernando Alonso claquait brutalement la porte d’Alpine à l’été 2022, on aurait déjà pu se douter du chaos qui régnait en interne. Quand Oscar Piastri, jeune pépite de l’académie a refusé le baquet que l’équipe lui avait offert pour signer chez McLaren, à l’époque en grande difficulté, l’alerte aurait véritablement dû être lancée.
Après cet épisode humiliant et pour redorer son blason à l’international, Alpine a choisi d’aligner un duo 100% français en 2023. Une bonne idée sur le papier pour renforcer l’encrage de la marque et son amour auprès du public hexagonal. Sauf que c’est de notoriété publique, Pierre Gasly et Esteban Ocon ne s’entendent plus depuis des années.
De premières tensions ont vite commencé à germer, exacerbées par les incidents en piste entre les deux pilotes, à commencer par leurs accrochages en Australie puis en Hongrie. Celui de Monaco en 2024 a été la goutte de trop. Bruno Famin annonçant en direct sur Canal+ qu’il fallait «trancher dans le vif», sous-entendu sanctionner Ocon. La fin de collaboration entre le pilote et l’équipe a été annoncée la semaine suivante.
Pour pallier l’éviction de ce cadre du projet, l’écurie franco-britannique avait choisi de puiser dans son académie et a promu Jack Doohan (fils du quintuple champion du monde moto Mick). Le manque de classe de ses dirigeants s’est alors bien fait ressentir. Esteban Ocon n’a même pas eu le loisir de finir la saison, Alpine préférant le remplacer par son successeur australien à Abu Dhabi.
Dès le début de 2025, la position de Doohan s’est vue fragilisée. Son manager était pourtant Flavio Briatore mais l’Italien a vite cédé aux sirènes des sponsors argentins promis par Franco Colapinto. Résultat, il n’a été laissé à l’Australien que six week-ends de course pour s’exprimer avant d’être remercié. Bien peu pour un débutant.
L’ancien pilote de l’académie Williams Colapinto a donc pris sa place depuis le Grand Prix d’Imola, sans se montrer plus à son avantage que son prédécesseur, commettant globalement autant d’erreurs et étant aussi dominé par Pierre Gasly. Cela ne semble pas satisfaire Briatore qui penserait déjà à s’en séparer. Des rumeurs autour d’une potentielle arrivée de Valtteri Bottas fleurissent dans le paddock.
L’abandon du moteur Renault
Fin septembre 2024, en réponse aux mauvaises performances d’Alpine en F1, Luca De Meo, sous l’influence de Flavio Briatore, prenait la décision d’arrêter le développement du moteur Renault pour la saison 2026. Les difficultés de la voiture sont attribuées au V6 bi turbo de l’usine de Viry-Châtillon et le PDG du groupe n’a pas été convaincu par les promesses de la nouvelle unité de puissance.
La nouvelle est rude pour tous les employés et supporters. Pour l’identité de la marque également puisque l’Alpine sera donc équipée de moteurs Mercedes dès la saison prochaine. Ce qui restait de français dans cette équipe n’existe plus. Cette décision brutale est réfléchie et stratégique pour l’avenir. L’écurie est plus facile à vendre si elle n’a qu’une usine et qu’elle est cliente et non motoriste. Il ne reste plus qu’Enstone, en Angleterre.
Toute cette instabilité ainsi que ce changement majeur ont un impact sur les employés présents sur les Grands Prix. En témoignent les mauvaises stratégies à répétition ou encore les arrêts au stand trop longs qui pénalisent grandement des pilotes devant déjà se battre avec une voiture aux performances en déclin.
Cerise sur le gâteau, la démission de Luca De Meo annoncée le 15 juin 2025. Un départ de plus donc et pas n’importe lequel. L’Italien est à l’origine du projet Alpine en F1. Son départ laisse pour le moment un grand vide et surtout une énorme incertitude. Le prochain PDG sera-t-il aussi enthousiaste à l’idée de perdre des centaines de millions d’euros par an dans une équipe de course aux performances en berne ? Rien n’est moins sûr, particulièrement dans un contexte de crise de l’automobile en Europe.
Un dernier espoir
Si l’unité de puissance Renault a été abandonnée pour celle de Mercedes, c’est aussi parce que les échos concernant le groupe propulseur de la firme à l’étoile sont excellents. Dans une ère réglementaire où l’importance du moteur devrait être décuplée, la dernière chance de voir Alpine au sommet en Formule 1 est peut-être là. Si c’est un nouvel échec, alors la vente de l’équipe pourrait être conclue dans les saisons qui suivent, les prétendants ne manquent pas.
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