Ce n’est sans doute pas la clef du bonheur, mais elle va ouvrir un semblant de normalité pour cinq familles. Au 6, rue de la Carpe-Haute, dans le quartier de la Robertsau, les 18 premiers habitants ont reçu symboliquement les clefs de leur tiny house (ou micro-maisons), après des mois à la rue, faute d’hébergement. L’ambiance festive dénote avec les histoires tristes que traînent ces familles originaires d’Europe de l’Est et d’Afrique. Toutes espèrent un répit, une « bulle d’air », décrit la maire, du nom choisi pour baptiser le lieu tout juste ouvert.

Un confort spartiate

Une guitare et deux violons entament quelques notes. Les nouveaux occupants esquissent un sourire pour les photos, après des mois de galères. « L’hébergement est un droit inconditionnel, nous ferons tout pour maintenir ce droit », martèle Jeanne Barseghian.

Avec sa femme et ses deux enfants de deux et cinq ans, Alfred raconte avoir « dormi sous une tente dans le parc du Heyritz ». Le jeune père de famille est arrivé en France en 2022 avec son frère, à bord d’un bus qui l’amenait d’Albanie où il était peintre en bâtiment, pays où il était persécuté par une « mafia ». « Du jour au lendemain, on m’a frappé et pris mon salaire. Je cherche du travail, mais c’est difficile, car je parle encore mal le français. » Un accompagnement social est assuré par l’association L’Étage pour accompagner ces familles dans leurs démarches.

Sa belle-soeur Daniella, 28 ans occupe également l’une des tiny houses. Enceinte de six mois, elle peut enfin se reposer : « Nous étions dans une tente pendant sept mois ( au parc Imbs, quartier de la Montagne-Verte ). Avec le froid, l’hiver c’était horrible. Il fallait faire du feu pour nous réchauffer ». Son amie Xhesina, 26 ans, enceinte également, se remémore l’absence de douches et de possibilité de laver les vêtements. « Maintenant tout est bien », salue en chœur les deux jeunes femmes. Dans 25 m2, les familles disposent de deux chambres et d’un espace de vie. Le confort est spartiate : l’eau courante n’est pas disponible, les travaux de raccordement étant onéreux et complexes. Un préfabriqué à l’écart propose douches et sanitaires.

« Maintenant j’ai un lit ! »

Sur le parvis au centre des tiny houses de la société Hekipia, plusieurs enfants jouent au soleil. Lucas, sept ans, raconte les nuits à dormir dans une voiture à l’Elsau ces derniers mois. « Je dormais mal, je tombais par terre, maintenant j’ai un lit ! », sourit le bambin scolarisé à Cronenbourg. Le regard bleu acier de son papa, Temuri, s’assombrit en essayant d’évoquer la vie de famille. Mais… « c’est trop douloureux de parler pour moi de notre passé en Géorgie », tape-t-il sur un traducteur en ligne. Lucas est déjà reparti retrouver ses copains pour jouer.

« Ce sont des familles arrivées il y a deux à trois ans qui demandent le droit d’asile, et se sont fait débouter. Tous leurs enfants sont scolarisés à Strasbourg », détaille Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge de la ville inclusive. « D’où notre politique volontariste de places d’hébergement », notamment les logements et terrains vacants de la Ville. L’enveloppe budgétaire du projet a été revue à la hausse  : 400  000 euros portés par la Ville et le mécénat du groupe immobilier KS.

Rachel, une maman de 43 ans, originaire du Bénin a rejoint la France en 2021. « Nous occupions une chambre au centre-ville. Quand mon fils a eu trois ans, nous avons été mis dehors, faute de papiers. Je demande la nationalité depuis deux ans », raconte-t-elle. Avec ses trois enfants, elle s’est retrouvée hébergée au gré des possibilités. Sa plus grande fille, scolarisée en première bac pro cybersécurité et informatique, peut enfin faire ses devoirs, « l’esprit libre ». Sa maman reprend : « Ici, ça permet de sortir la tête de l’eau, c’est déjà pas mal d’avoir un toit, le temps de savoir si nous aurons les papiers ou non. »