En qui croire dans un monde où Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard battent les records des temps maudits, comme celui de l’ascension du Mont Ventoux détenu jusqu’à mardi par Iban Mayo (54’31 pour le Slovène et 54’33 pour le Danois contre 55’31 pour l’Espagnol). Où Mauro Gianetti, impliqué dans des affaires de dopage comme coureur puis comme dirigeant, est à la tête de l’équipe UAE. Et où un manager d’équipe suspicieux confie à nos confrères de Ouest-France que « les instances [du cyclisme] sont embarrassées et ne savent pas quoi faire » devant les performances du maillot jaune ?

La réponse se trouve peut-être dans les calculs de Frédéric Portoleau, ingénieur en aéronautique et mécanique des fluides. Ce dernier est bien connu des amateurs de cyclisme pour ses calculs de données de puissance des leaders du peloton sur les grands cols du Tour de France, qu’il publie depuis plusieurs années sur le site Chronoswatts. Pour s’affranchir du poids des coureurs, par manque de fiabilité ou par absence de données, Portoleau a conçu un « coureur étalon » de 78 kg, matériel compris. « C’est un coureur fictif qui est placé dans le peloton et qui nous renseigne sur l’allure du moment », nous explique-t-il.

Le reste relève de la physique pure : on prend des données telles que le vent, l’aspiration, l’aérodynamisme, le roulement, la pente et on les passe au mixeur pour obtenir un résultat avec une marge d’erreur autour des 2 %. « En matière de précision des données, le cas idéal, c’est par exemple la partie forestière du Ventoux, illustre l’ingénieur. On est sur une pente forte. Le coureur doit en priorité lutter contre la pesanteur pour s’élever. Et il y a peu de vent. De plus, à faible vitesse, il y a peu d’aspiration. Donc on peut faire des estimations de puissance précises. »

D’Hautcam au Ventoux, gros watts et fantômes de l’ère EPO

Le travail de Frédéric Portoleau, estime-t-il, « est désormais respecté au niveau du calcul lui-même. Il n’y a plus trop de contradicteurs de ce côté-là. Mais il peut y en avoir sur ce qui est de l’interprétation par rapport au dopage. » Ça, c’est le boulot d’Antoine Vayer, à qui Portoleau transmet ses données. Cet ancien entraîneur de Festina a fixé un seuil d’acceptabilité des puissances développées sur un vélo par un coureur professionnel.

  • Suspect : 410 watts
  • Miraculeux : 430 watts
  • Mutant : 450 watts

Le barème ne fait pas l’unanimité, notamment dans sa fourchette basse. Alban Lorenzini, spécialiste des capteurs de puissance, entraîneur et testeur de matériel, est très loin de gober le porridge servi par les UAE, mais concede que les évolutions récentes du cyclisme en matière d’entraînement, de nutrition et de matériel ont eu un impact global sur les vitesses observées. « Ces radars devraient être rehaussés de dix watts, mais pas plus, estime-t-il. On a progressé sur les fins de col, mais de là à accepter sans broncher le gouffre qui sépare Pogacar du reste des coureurs… »

A Hautacam, le Slovène n’a pas battu le record de l’ascension établi par Bjarne Riis en 1996 malgré un meilleur début de col dans le sillage de Jhonatan Narvaez, mais il a développé une puissance estimée à 460 watts par Frédéric Portoleau. Sur la montée de Peyragudes, le maillot jaune aurait même fait sauter le plafond des 500 watts (505), une performance hors normes même sur un effort d’une vingtaine de minutes. Les écarts creusés (36 secondes sur Vingegaard, 1’20 sur Roglic) en attestent. Les travaux de l’ingénieur sur le Ventoux ne s’annoncent guère plus flatteurs. « Sur le tronçon qui va de Saint-Esteve jusqu’au chalet Reynard, en forêt, Pogacar et Vingegaard sont montés à la même vitesse que Pantani en 1994. L’Italien avait produit un gros effort sur le bas. »

Et si tout le monde divulguait ses watts comme Onley ?

Le Tour de France 2025 confirme quoi qu’il advienne la tendance à l’emballement observée depuis le début de l’après le Covid, avec un point de bascule vers l’irréel franchi au Plateau de Beille, en 2024. « Depuis quatre ans, confirme Portoleau, on voit des performances assez étonnantes et encore plus fortes depuis ce qu’a fait Pogacar sur cette étape de 2024. »

Pour quiconque voudrait intenter un procès en charlatanerie, Jonas Vingegaard en personne avait validé les chiffres du site Lanterne Rouge pour l’ascension du Plateau de Beille. « Les autres membres de l’équipe ont dit que quelqu’un avait estimé le nombre de watts par kilo que nous avions parcouru, déclarait le coureur de Visma-Lease a bike. Pour être franc, c’est très précis. »

La machine Portoleau semble si bien huilée que ce dernier ne s’enthousiasme pas plus que ça de voir le jeune Oscar Onley, pourtant quatrième du classement général, rendre publiques ses données d’ascension du Mont Ventoux. « Ça peut m’aider à voir si mes calculs sont dans la même plage. Mais publier des données brutes ne les rend pas forcément fiables. Je préfère ce qu’a fait une fois Thibaut Pinot, qui avait publié son profil de puissance avec l’aide de son frère et entraîneur, Julien Pinot, docteur en sciences du sport, et qui en avait fait un article scientifique. »

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Le watt en lanceur d’alerte du cyclisme, oui, mais pas n’importe comment. « Les capteurs de puissance ne sont pas toujours fiables à 100 %, et il faudrait que toutes les équipes soient équipées du même et qu’ils soient calibrés de la même façon, enchaîne Alban Lorenzini. Mais un suivi biomécanique dans la même veine que le passeport biologique permettrait de déceler certaines formes de triche, dans le sens où l’on sait ce qu’il n’est pas possible de gagner. On gagne des watts progressivement au cours de la préparation, mais faire des steps de 30 watts, par exemple, du jour au lendemain où d’une semaine à l’autre, c’est impossible, même chez un athlète professionnel. » En attendant mieux, il reste toujours les chasseurs de watts.