Plages, eaux turquoises, obésité et diabète. Une étude a été conduite au CHRU de Nancy sur les conséquences de la néphropathie diabétique, complication du diabète de type 2, au sein des populations polynésiennes. Elle est le fruit d’une collaboration entre le service de néphrologie du CHRU de Nancy, l’unité mixte de recherche de l’Université de Lorraine et de l’Inserm Inspiire (Interdisciplinarité en Santé Publique, Interventions & Instruments de mesure complexes – Région Est) et le Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) de Taaone, à Papeete. 16 000 kilomètres séparent la Lorraine de Tahiti. Pourtant, c’est à Nancy que, durant une vingtaine d’années, les biopsies rénales réalisées en Polynésie ont été analysées, constituant un fonds précieux pour la recherche. À partir de cela, une étude comparative a pu être menée sur un échantillon de 92 patients polynésiens et 63 patients de la région Grand Est (période 2016-2019). L’essentiel de la collecte des données a été réalisé par le Dr Mathis Michel dans le cadre de sa thèse de doctorat.
Altération des structures du rein
Bâties sur une idée du Dr Raphaël Kormann, néphrologue au CHRU, ces investigations révèlent de fortes différences de pronostic de la néphropathie diabétique chez les Polynésiens, dont l’issue est la défaillance rénale, la dialyse et la transplantation. « La néphropathie diabétique est une altération des structures du rein, principalement des glomérules, les filtres rénaux qui se situent à l’interface entre le sang et l’urine et filtrent le sang pour produire l’urine primitive », explique Raphaël Kormann qui détaille : « Ces filtres rénaux se dégradent progressivement avec le diabète dans la néphropathie diabétique. Les glomérules s’altèrent, fibrosent et filtrent de moins en moins le sang et de moins en moins bien. Cela s’associe avec le fait qu’il y a des protéines dans les urines. C’est à partir de cette protéinurie qu’on dépiste précocement la néphropathie diabétique. »
L’étude a mis en évidence d’autres spécificités : « Ce qui est vraiment perturbant, c’est que les Polynésiens développent non seulement leur néphropathie diabétique beaucoup plus jeune que les Lorrains, mais, qu’en plus, ils évoluent moins bien, malgré un accès aux soins très similaire au nôtre. » Et cette précocité ne se joue pas sur quelques années. « Les patients polynésiens sont en moyenne plus jeunes de dix ans au moment de la biopsie », poursuit Raphaël Kormann. Les lésions glomérulaires sont aussi plus sévères chez les Polynésiens, bien que la « durée de diabète soit plus courte. » Enfin, le délai médian avant le recours à la dialyse est près de quatre fois plus court en Polynésie (1,59 an contre 6,06 ans dans le Grand Est).
Explosion de l’obésité
Les biopsies rénales servent à poser un diagnostic précis d’une maladie du rein. De plus, elles permettent d’éliminer les pathologies autres que celles liées à un diabète. « Le diabète est l’une des causes principales de néphropathie, mais il peut y avoir des exceptions. Donc, la biopsie nous est très utile pour cela », indique Raphaël Kormann. En fait, la Polynésie connaît depuis longtemps une explosion de l’obésité et, par conséquent, du diabète et de la néphropathie diabétique. « Ce sont des points centraux et majeurs de leurs problématiques de santé », poursuit le praticien qui confie : « Avant de commencer cette étude, je n’avais aucune notion que la néphropathie diabétique pouvait évoluer de manière aussi différente selon les endroits du monde. »
L’obésité est une porte d’entrée dans le diabète. En Polynésie française, 70 % de la population adulte est en surpoids dont 40 % au stade d’obésité (cf. Direction de la santé de Polynésie). Près d’un adulte sur deux y est obèse, soit l’un des taux parmi les plus élevés au monde, contre 20 % d’adultes en situation d’obésité dans le Grand Est. Certes, l’épidémie mondiale d’obésité n’est pas propre aux Polynésiens, mais certains facteurs (génétiques, environnementaux…) l’amplifient chez eux. Elle est très prononcée dans ces populations qui devraient être sujettes « à un dépistage entre 20 et 25 ans du diabète et de la protéinurie et une prise en charge tout aussi précoce », préconise Raphaël Kormann. L’impact, selon le néphrologue, serait bénéfique, d’autant qu’il existe, aujourd’hui, des « nouveaux médicaments pour protéger le rein de la néphropathie diabétique. »