Dans le délicat « Sorry, Baby », Eva Victor raconte les malheurs d’Agnès, une fille qui stagne dans sa vie, mais résiste pour ne pas sombrer. La gestion de son trauma est au cœur de cette comédie dramatique intimiste à l’humour pince-sans-rire, parfois même un peu noir.

Pour son premier long métrage, dans lequel elle incarne également l’héroïne Agnès, Eva Victor frappe fort. Elle, qui a vécu une histoire similaire, signe une comédie dramatique unique sur la reconstruction d’une jeune femme violée. En évitant soigneusement de montrer frontalement l’agression, s’intéressant principalement à la guérison, le film fait mouche.

La force de la suggestion

Pourtant, Eva Victor ne se prive pas de filmer le jour du viol, mais elle reste en plan fixe sur la façade d’une maison cadrée de loin. Agnès sonne à la porte, pénètre de plein gré dans la bicoque. Alors que la lumière s’assombrit pour indiquer le temps qui passe du jour à la nuit, aucun bruit ni aucune musique n’accompagne l’image de cette façade. Soudain, la porte s’ouvre. Agnès, abasourdie, sans un mot, sort de la maison. Le silence est rompu plus tard par son introspection dans un bain alors qu’elle décrit ce qui s’est tramé et se demande si c’est bien cela que l’on appelle un viol.

Contenu externe

Ce contenu externe ne peut pas être affiché car il est susceptible de collecter des données personnelles. Pour voir ce contenu vous devez autoriser la catégorie Réseaux sociaux.

Accepter Plus d’info

Suggérer plutôt que montrer! Rien n’est plus efficace pour transmettre aux spectateurs et spectatrices la violence de l’acte subi par Agnès. Mais un tel film ne pourrait fonctionner sans un second rôle aussi impeccable que Louis Cancelmi pour jouer le mal. Il est le vice incarné, Preston Decker, mentor érudit et professeur réputé qui profite de son charisme, joue sournoisement de la flatterie pour mieux piéger sa proie Agnès. Cet homme rassurant lui raconte ce qu’elle a envie d’entendre. En confiance, comment aurait-elle pu se douter qu’en se rendant chez lui pour discuter de sa thèse, le prédateur ne ferait d’elle qu’une bouchée?

L’amitié comme bouée de sauvetage

Dès lors, le film explore avec délicatesse ce sentiment d’impasse qui hante la victime. Agnès hésite à s’engager avec un garçon dont elle sent pourtant qu’il pourrait lui convenir. Elle en parle avec Lydie (Naomi Ackie), sa meilleure amie enceinte, complice depuis toujours, mais qui vit loin d’elle depuis le drame, en couple avec son épouse. Compatissante, à l’écoute, elle aime Agnès plus que tout, l’aide depuis ce viol et ne rate jamais une occasion de passer du temps avec elle. Cette nature bourrée d’énergie agit comme un précieux médicament. Voilà sans doute pourquoi Agnès n’a pas sombré.

Mais tout en continuant à enseigner dans l’université où s’est déroulé le drame, Agnès doit aussi se protéger des rumeurs et se méfier de Natasha (Kelly McCormack), une doctorante rivale qui se laisse emporter par des crises de jalousie. Le comique de situation provient essentiellement de ce personnage. Certains échanges avec Lydie font aussi leur effet lorsqu’il s’agit de moquer les garçons obsédés par la taille de leur engin. Les dialogues savoureux fusent, les rires aussi, dopés par un humour parfois noir.

Une narration éclatée pour une mémoire fragmentée

Découpé en cinq chapitres qui ne sont pas présentés dans la chronologie de l’histoire, « Sorry, Baby », avec sa mise en scène minimaliste, sans effets de manche et son rythme volontairement lent, est une pépite; un premier long métrage délicat d’une autodidacte dont les vidéos avaient été repérées sur les réseaux sociaux.

Voilà une cinéaste et actrice qu’il faudra suivre de près dans les années à venir.

Note: 5/5

Philippe Congiusti/sf

« Sorry Baby » de et avec Eva Victor. A voir dans les salles romandes dès le 23 juillet 2025.