Brigitte Macron, à Amsterdam le 12 avril 2023.

KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Brigitte Macron, à Amsterdam le 12 avril 2023.

POLITIQUE – « Madame Owens a sciemment diffusé une théorie du complot fausse ». Les avocats du couple Macron ont annoncé ce jeudi 24 juillet avoir déposé plainte contre l’influenceuse américaine ultraconservatrice Candace Owens, fan de Donald Trump et accusée d’avoir diffusé à ses millions d’abonnés la fake news transphobe visant la Première dame. De quoi espérer pour les locataires de l’Élysée la fin d’une intox qui les poursuit depuis des années ?

En reprenant la carte de Conspiracy Watch publiée en 2021, Brigitte Macron et les fake news qui l’entourent naviguent dans les sphères « pédo-satanistes », « complot maçonnique », antisémitisme et « nouvel ordre mondial » pour n’en citer que quelques-uns.

Surtout, la Première dame subit ce que vit Michelle Obama depuis des années. En raison d’une mâchoire jugée trop masculine, d’épaules « trop » musclées, l’ex-Première dame américaine est soupçonnée de dissimuler sa transidentité. « On retrouve toutes les obsessions autour du corps des personnes trans, et de la norme. C’est très installé comme on a pu le voir l’année dernière avec la boxeuse Imane Khelif », pointe Maud Royer, autrice du Lobby transphobe (éditions Textuel), jointe par Le HuffPost.

Une fake news portée par le contexte post-covid

Sur les réseaux sociaux, l’intox a fait son apparition en décembre 2021 sur YouTube avec sa première propagatrice, Natacha Rey. En réalité, cela fait alors quelques mois déjà qu’elle cherche une plateforme où s’exprimer. « Natacha Rey s’est improvisé journaliste. Elle a fouillé et avec ses très nombreux documents, croyant tenir le scandale du siècle, est allée toquer à la porte des médias, qui l’ont refoulée. C’est là qu’elle a décidé de d’abord se tourner vers le site réactionnaire “Faits et documents” », détaille au HuffPost Emmanuelle Anizon, grand reporter au Nouvel Obs, et autrice de L’affaire Madame : Anatomie d’une fake news (Studiofact Éditions).

Faits et Documents est une revue confidentielle aux racines soraliennes fondée dans les années 1990 par le militant nationaliste Emmanuel Ratier et dont l’ancien rédacteur en chef est Xavier Poussard. Le HuffPost a pu consulter le numéro de septembre 2021 consacré à la fratrie de la Première dame, dont le prénom est systématiquement entre guillemet. Déjà, l’article laisse entendre que Brigitte Macron ne serait autre que son frère Jean-Michel Trogneux. Mais déçue de la faible audience de la revue, Natacha Rey se tourne alors vers la chaîne Youtube d’Amandine Roy, et cette fois la vidéo devient virale.

La période n’est pas anodine : les scandales politico-financiers, mais aussi le mouvement des gilets jaunes, ont entaché la confiance envers les élites. Quand le Covid a, lui, permis aux complotistes de tous bords de s’organiser et de prospérer. « Finalement, Natacha Rey est entourée de plein de gens différents, de gauche même, qui pour beaucoup d’entre eux ont basculé au moment du Covid dans ce mouvement d’immense défiance », abonde la journaliste.

Exporter la fake news aux États-Unis

En janvier 2022, Brigitte Macron dépose une plainte – d’autres suivront – et s’attire l’attention des médias internationaux, dans une parfaite illustration de l’effet Streisand. L’intox vivote ensuite avant d’être reprise par le compte X, Zoé Sagan, en 2023. Lequel selon Emmanuelle Anizon « se met à travailler de concert avec Xavier Poussard, tous deux rêvant d’exporter la rumeur aux États-Unis ».

Des articles de Poussard traduits en anglais et envoyés à la sphère MAGA finissent par attirer l’œil de Candace Owens. « Elle contacte Xavier Poussard en 2024. Après l’avoir rencontré à Londres, elle l’invite chez elle à Nashville. C’est là que se concrétise leur collaboration autour de “Devenir Brigitte”, lui avec son livre et elle avec sa série de vidéos », détaille encore Emmanuelle Anizon. Au Français le succès de l’ouvrage sur Amazon, à la réactionnaire conservatrice les audiences. Dans les deux cas, de l’argent et du buzz.

La nouvelle plainte déposée aux États-Unis, à laquelle cette fois Emmanuel Macron est associé, risque de relancer d’autant plus fort la rumeur estime la journaliste. Et de pointer par ailleurs une différence notable avec Michelle Obama : « Les défiants ont horreur du secret. Et là où Michelle Obama avait pu se défendre en produisant des photos, il y a chez les époux Macron une relative pauvreté documentaire car leur histoire d’amour est plus compliquée à raconter, à vendre, que celle des Obama ».

La « transvestigation », une autre clef de lecture

À la dimension purement médiatique, Maud Royer par ailleurs membre de l’association Toutes des femmes, y ajoute celle de la transphobie. Le cas de Brigitte Macron comme de Michelle Obama est emblématique du complotisme de transvestigation : « C’est une forme de complotisme qui vise à investiguer, le passé ou des photos de personnalités pour démontrer qu’elles sont en réalité trans. On n’est pas très loin de l’idée des ’’reptiliens’’ auxquels appartiendrait une certaine élite. En l’occurrence, l’idée portée par l’extrême droite avec la transvestigation, c’est qu’il s’agirait d’un ’’lobby trans’’ qui chercherait à faire transitionner tout le monde ».

Un terreau qui excite les sphères d’extrême droite d’autant plus quand l’actualité met sur la table la question de l’égalité et des droits des personnes trans. Quant à ses racines, elles sont aussi à aller chercher dans la misogynie – puisque ce sont toujours plus les femmes, et a fortiori trans, qui sont exposées au harcèlement, et l’homophobie. « C’est dommage d’ailleurs que Brigitte Macron porte plainte pour diffamation, elle le fait évidemment à raison dans un contexte de transphobie ambiante, mais sans jamais avoir un mot pour les personnes trans. Et en ce sens, elle fait quelque part le jeu de l’extrême droite », regrette Maud Royer.