« Le Parlement ne va pas se gêner pour amender. La poutre va inévitablement travailler. »
La prédiction de Jean-Martin Mondoloni, le président du groupe Un Soffiu novu, alors que l’Assemblée de Corse remettait le couvert sur le processus d’autonomie, après le comité stratégique tenu à Paris, il y a deux jours, a résonné avec acuité, ce jeudi 24 juillet.
Une information révélée par Le Figaro a, soudain, jeté un froid glacial dans l’hémicycle.
Surtout, un pavé dans la mare au moment où le président de l’exécutif, Gilles Simeoni, exhortait, à nouveau, les élus à tenir bon face à toute tentative de détricotage du texte qui sera soumis, la semaine prochaine, en Conseil des ministres.
« S’il en était ainsi, cela constituerait une atteinte grave aux prérogatives du Parlement »
En attendant, le président du Sénat, Gérard Larcher, vent debout, indique dans un courrier au chef du gouvernement, François Bayrou, que « l’intention prêtée au ministre de ne pas tenir compte de l’avis du Conseil d’État ne manque pas de (l)’inquiéter. S’il en était ainsi, cela constituerait une atteinte grave aux prérogatives du Parlement ».
Mardi soir, à Paris, François Rebsamen avait pourtant fini par emboîter le pas aux requêtes de ses hôtes qui avaient manifesté leurs craintes à l’issue des premières pistes défavorables dévoilées par le Conseil d’État. On était ainsi revenu à la version initiale, avec la garantie que c’est bien le texte originel qui serait présenté au président de la République et au chef du gouvernement, puis transmis au Conseil des ministres. Avant que le Parlement s’en empare.
La droite nationale sort du bois, plus rapidement encore que prévu, par la voix du deuxième personnage de l’État
Moins de 48 heures après la réunion parisienne, la droite nationale sort donc du bois par la voix du deuxième personnage de l’État.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, estime que « l’intention prêtée au ministre de ne pas tenir compte de l’avis du Conseil d’État ne manque pas de (l)’inquiéter. » Pillot – LP – TGarro – GARRO Thierry
Un télescopage politique qui rouvre des fractures jamais véritablement refermées sur le dossier corse et laisse augurer du bras de fer qui se profile, malgré le discours ferme de la majorité territoriale et de tous ceux qui prônent une évolution statutaire.
Quelques heures auparavant, la présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, avait ainsi lâché : « Nous nous opposerons à toute tentative de retour en arrière ».
Le patron de l’exécutif avait renchéri, « si demain, on nous imposait un texte édulcoré, nous reprendrions notre liberté ».
C’est, à l’évidence, un bras de fer qui s’engage, plaçant François Rebsamen dans une position peu enviable et renforçant l’inquiétude des élus Corses.
Au point que Paul-Félix Benedetti n’a cessé de le marteler dans l’hémicycle, »si, techniquement, les écritures constitutionnelles validées à Beauvau peuvent être modifiées, moralement et politiquement, c’est impossible ».
Gérard Larcher compte en décider autrement.
Il conviendrait que le projet de loi constitutionnelle soit examiné « en premier lieu au Sénat »
Dans le courrier envoyé à François Bayrou, le président du Sénat cible explicitement l’octroi d’un pouvoir législatif. À ses yeux, enfonce-t-il le clou, la « condition tenant au contrôle du Parlement est impérative, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises devant vous et devant le ministre François Rebsamen ».
Le premier d’entre les sénateurs manifeste, de surcroît, son opposition à « la reconnaissance de l’existence d’une communauté en Corse ». Le « Conseil d’État, argue-t-il, relève que ce terme ne figure pas dans le bloc de constitutionnalité ».
Il partage, en outre, l’avis de la plus haute juridiction de l’ordre administratif qui estime qu’il n’est pas envisageable de maintenir la référence « lien singulier à sa terre” , puisqu' »un sens précis » ne saurait lui être octroyé.
À telle enseigne que Gérard Larcher invite le Premier ministre à être « attentif à cet avis ». Considérant, par ailleurs, qu’il conviendrait que le projet de loi constitutionnelle soit examiné « en premier lieu au Sénat » en ce qu’il « assure la représentation des collectivités territoriales pour la République ».
Le message est d’autant plus clair que la réforme constitutionnelle ne peut être adoptée sans un vote en des termes identiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Jusqu’où la donne pourrait-elle être bouleversée par les levées de boucliers qui menacent de surgir tous azimuts – Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur devrait ne pas être en reste – c’est la question.
« Il n’est pas question de fermer la porte à une aspiration extrêmement majoritaire en Corse »
Pour le moment, il faut « continuer à produire un message fort en direction de Paris », appuie Pierre Ghionga (Un’altra strada, groupe formé avec Charlotte Terrighi), faire jouer « la force du rapport de force », dit Saveriu Luciani (Avanzemu-PNC).
D’accord avec ce dernier, Josepha Giacometti qui se demande « ce qu’il va subsister d’un texte conçu au plus petit dénominateur commun ».
Si Romain Colonna (Fà populù) avait pointé quelques minutes auparavant combien il avait été utile de « parachever la première phase de négociations avec le gouvernement », le tacle du sénateur des Yvelines a de quoi inquiéter Gilles Simeoni.
« Nous sommes à un moment de vérité, un point crucial, que ce courrier vient cristalliser. Les députés et sénateurs devront se déterminer en leur âme et conscience, sachant que nous sommes dans un débat profondément politique. Mais qu’il n’est pas question de fermer la porte à une aspiration extrêmement majoritaire en Corse ».
Le président de l’exécutif a également confié qu’il y a un « travail de conviction à faire », certains parlementaires n’ayant pas forcément « toutes les cartes en main. Au-delà, il appartient à la droite de prendre ses responsabilités ».
Pour Jean-Martin Mondoloni, le positionnement du président du Sénat était prévisible. « Nous rentrons dans le principe de réalité. Pour notre part, nous demeurons droits dans nos bottes, oui à la reconnaissance de notre singularité. Mais avec d’importantes réserves sur l’octroi du pouvoir législatif « .
Le match ne fait que commencer.