À 24 ans, Paul Mallez s’est affirmé comme une des révélations de la tournée néo-zélandaise. Retour sur le parcours, ô combien déroutant, d’un pilier qui a su tracer sa voie. Et à qui les spécialistes prédisent un bel avenir.
Il y a des images qui parlent plus que de longs discours. Au coup de sifflet final du troisième test entre Bleus et Blacks, un caméraman présent sur la pelouse du Waikato Stadium a capté une scène paradoxalement anodine et remarquable : on y voit Scott Robertson croiser Paul Mallez, lâcher une petite phrase au pilier français en hochant la tête puis échanger avec Cameron Woki en désignant du doigt le jeune capé. Nul besoin d’être expert en lecture labiale pour comprendre que les mots qui sortaient alors de la bouche du sélectionneur néo-zélandais mêlaient curiosité et compliments. En trois entrées en jeu et un total de 106 minutes passées sur les pelouses, le Chalonnais a épaté son monde, à l’autre bout de celui-ci, en franchissant le cap séparant Pro D2 et niveau international avec une assurance déconcertante.
Scott Robertson impressionné par Paul Mallez ?
Le sélectionneur des All Blacks a visiblement bien aimé les qualités du pilier droit du Stade Toulousain !#NZLFRA pic.twitter.com/jD0SmMJLsc
— CANAL+ Rugby (@CanalplusRugby) July 19, 2025
Un effet de surprise dont le garçon est coutumier depuis que les choses sont devenues sérieuses. En 2018-2019, la prometteuse ascension du Chalonnais d’origine a soudainement commencé à emprunter une drôle de trajectoire. Avec une première étape étonnante… à Toulouse. Benjamin Moreux, entraîneur de Paul Mallez en Crabos à l’ABCD XV, formation bourguignonne, en sourit encore : « J’avais décidé de sélectionner Paul pour un tournoi national à VII moins de 18 ans. Personne ne comprenait pourquoi je l’avais retenu dans le groupe vu son poste mais je savais qu’il avait des atouts à faire valoir dans la discipline : sa technique, son gaz, son endurance… Il avait déjà une VMA à 18, 19. À l’arrivée, l’équipe a remporté la compétition après avoir battu Montpellier en finale. On avait aussi fait match nul contre le Toulouse de Théo Ntamack. » Auréolé d’un titre de champion de France à 7, le grand espoir du pôle de Dijon, révélé à Pont-à-Mousson, en Lorraine, est logiquement sélectionné pour le Festival des Six Nations Nations, remporté avec les U18 ; quelques semaines plus tard, il est de nouveau convoqué à Marcoussis… mais avec les U20, cette fois-là. Et voilà qu’à 18 ans et 6 mois, il s’envole pour le Mondial argentin où les Bleuets seront de nouveau couronnés. Son âge dénote. Sa fiche aussi, alors qu’il est le seul élément à ne pas évoluer au sein d’un club professionnel : « Être autant surclassé pour un pilier, c’est exceptionnel, apprécie Virgile Lacombe, entraîneur au Stade toulousain. Je ne sais pas si c’est déjà arrivé. Ça voulait en tout cas dire beaucoup de son potentiel. » Lequel avait déjà suscité des convoitises d’un peu partout : du Stade français, de La Rochelle, de Clermont… et de Toulouse, donc. Son choix du cœur et de la raison, à l’été 2019 : « Pour le jeu à la toulousaine et parce que les jeunes du centre de formation s’entraînent avec les pros », avait alors justifié l’intéressé dans la presse régionale. Benjamin Moreux, en formateur bienveillant, s’était interrogé à ce sujet : « Je lui avais demandé s’il était bien sûr de sa décision. J’avais peur pour lui. Toulouse est un super club formateur mais la concurrence y est tellement rude. Par la suite, j’avais croisé Ugo Mola au Sevens Series de Toulouse. Il m’avait rassuré en me disant qu’il le voyait comme un grand potentiel qu’il fallait polir. C’était à lui d’être à la hauteur de ces attentes. Au-delà du talent, il avait un charisme de leader et un vrai côté coach à faire valoir. »
« Ça a été difficile à accepter pour lui »
À son arrivée dans la Ville rose, il émane de Paul Mallez une première bonne impression : « Dès qu’on l’a vu à l’œuvre, on a vu que qu’il était à sa place, dans compréhension du rugby et dans l’adaptation à notre jeu, se remémore Virgile Lacombe, alors en poste auprès des espoirs. Paul est un joueur intelligent, qui a un vrai regard stratégique et qui sait réaliser de très belles choses techniquement parlant, comme des passes dans le dos ou sur le pas. Il a aussi une connaissance de la règle vraiment pointue : une fois, il avait aplati un ballon rentré dans l’en-but par le demi de mêlée adverse ; l’arbitre avait refusé l’essai mais c’est lui qui avait raison. » La parenthèse Covid refermée, Paul Mallez reprend son bonhomme de chemin avec des capes chez les Bleuets, deux premières feuilles de match en pro au printemps 2021 et un titre de champion de France espoirs dans la foulée, avec un certain Joel Merkler en doublure. Que demander de plus à 20 ans ?
Virgile Lacombe se souvient de cette période d’émancipation mais aussi de privation : « Paul était presque trop sollicité à cet âge-là, entre les entraînements des pros, les sélections, les matchs avec sa catégorie. Tout ça l’a amené à sauter quelques étapes en chemin, notamment au niveau de la préparation. C’est ce qui explique que son évolution ait été ralentie : il y a eu quelques blessures, de la surcharge et pas assez de développement physique. Sans vraie coupure ni période dédiée à ce travail de fond, il n’a pas pu gagner suffisamment en force et en masse, ce qui est très important pour un joueur du cinq de devant. » Aussi prometteur soit-il, l’avenir de Paul Mallez n’est pas encore tout tracé et un changement de direction inattendu guette le Bourguignon. Toutes les surprises ne peuvent être bonnes. En 2023, il s’oriente ainsi vers un prêt en deuxième division : « On voulait qu’il vive de la conquête, qu’il enchaîne les mêlées, afin de pouvoir s’aguerrir, reprend l’ancien talonneur. Ça a été difficile à accepter pour lui alors que des joueurs de sa génération restaient au club et c’est complètement compréhensible. Mais c’est un gars capable de s’évaluer et il savait le chemin qui lui restait à faire. Comme c’est un très gros compétiteur, une fois qu’il a une chose en tête, il fait tout pour la réaliser. »
« On ne l’a pas révolutionné »
À l’été 2023, Jacques Delmas, docteur des conquête et alors responsable du jeu d’avants à Aix, voit débarquer ce grand espoir, avec ses dix-huit feuilles de match dans l’élite au compteur et quelques trophées en vitrine. « Ça se voyait qu’il venait du Stade toulousain : il adorait jouer au ballon mais il fallait qu’il travaille plus la mêlée », décrit le technicien. Ce choc de générations et de styles aboutit à une drôle d’union : « J’ai découvert un gars attachant et à l’écoute. C’est un amour, le prototype du mec que tu as envie d’entraîner. On avait une relation qui allait au-delà du joueur et du coach. C’était une histoire de confiance. » Que Paul Mallez a su accorder, qu’il a su rendre : « Il a étudié les points où il devait faire des efforts, sur la technique de la mêlée, et il s’est exécuté. Il a beaucoup progressé au fil des deux années. Ce n’est pas qu’il n’avait pas envie avant mais ce passage lui a permis de gagner en maturité, en vécu, en solidité. Je vous rassure, on ne l’a pas révolutionné. Il avait ces qualités-là en lui. » Une poignée de bons conseils et quarante-cinq rencontres plus tard, le Bourguignon s’est affirmé comme un des meilleurs spécialistes du poste en Pro D2. Pour le plus grand plaisir de Virgile Lacombe : « On l’a suivi de près, on lui envoyait des programmes, on allait le voir… Et on a pu constater que le prêt avait été très bénéfique. Il s’est rendu plus autonome et a gagné en expérience. Il a conscience de l’importance que ce passage a eu pour lui-même s’il a toujours eu cette interrogation : et si je reviens, est-ce que j’aurai ma place ? Mais c’est la loi du sport de haut niveau et ce sera à lui de montrer qu’il mérite de jouer régulièrement. »
Paul Mallez sous les couleurs de Provence Rugby, la saison dernière.
Icon Sport
Son retour dans la Ville rose, à l’été 2025, était prévu de longue date. Beaucoup plus que sa première apparition en équipe de France : « Je ne m’attendais pas à ce que son nom sorte, reconnaît Jacques Delmas. J’imagine que la relation avec William devait être importante, qu’il devait être suivi. Quoi qu’il en soit, il ne venait pas de nulle part. » Pour Virgile Lacombe, l’effet de surprise s’est produit dans un deuxième temps : « Sa convocation est venue récompenser sa bonne saison. Ce qui m’a le plus étonné, c’est qu’il ait été pris comme pilier gauche alors qu’il y a très peu joué en Pro D2 (une seule titularisation cette saison, N.D.L.R.). Avec nous, il avait même été talonneur, alors on sait qu’il sait s’adapter. Mais de là à être aligné à gauche au niveau international… Au-delà des phases de conquête, il a bien tiré son épingle du jeu. » Jacques Delmas, qui en a vu passer des centaines à son poste, parle en connaissance de cause : « L’histoire est sympa, déjà : le jeune qui est passé par le Pro D2 et qui revient dans son club formateur bardé de trois sélections, retrace le technicien aux trois Brennus. Mais c’est loin d’être fini. Il a encore du travail à accomplir mais il peut encore atteindre le niveau supérieur. » Le contraire serait surprenant de sa part.
« On le compte en tant que pilier droit »
« Son avenir international est à gauche, clairement » : le 3 juillet, Fabien Galthié a clairement pris position sur le cas de Paul Mallez. En Nouvelle-Zélande, l’habituel droitier n’a d’ailleurs été aligné qu’à gauche de la première ligne. Du côté de Toulouse, le plan est tout autre : « Ce sera à lui de décider de la suite mais dans notre effectif, on le compte en tant que pilier droit avec une polyvalence à gauche, évoque Virgile Lacombe. Il travaillera principalement à droite en continuant de s’entraîner à gauche. On a eu tellement de blessures sur ces postes depuis deux ans. On sait que ça peut rendre service. » Pour Paul Mallez, qui compte à ce jour vingt-quatre matchs de Top 14 mais seulement deux titularisations, cet exercice 2025-2026 fera office de révélateur, au-delà de son positionnement : « Je pense que Paul a les capacités pour montrer qu’il a sa place. Sa présence va créer un peu plus d’émulation et c’est une très bonne chose après deux années où on a manqué de piliers droits disponibles. » Avec Aldegheri, Merkler et Colombe, le staff aura des candidats en nombre et des profils aussi divers que variés.
Né le 24 janvier 2001 à Chalon-sur-Saône
Taille : 1,80 m ; poids : 120 kg
Parcours : RC Pont-à-Mousson (2008-2018), ABCD XV (2018 – 2019), Stade toulousain (2019 – 2023), Provence Rugby (2023 – 2025), Stade toulousain (2025-)
Première sélection : face à la Nouvelle-Zélande, à Dunedin, le 5 juillet 2025
Nombre de sélections : 3
Palmarès : champion de France Crabos à 7 (2018), champion de France espoirs (2021), champion de France (2021, 2023, 2024), vainqueur du Festival des Six Nations (2019), champion du monde U20 (2019).