À quelques jours du coup d’envoi du Tour de France Femmes avec Zwift (26 juillet au 3 août), avec un Grand Départ prévu à Vannes samedi, Pauline Ferrand‑Prévot s’est exprimée ce mercredi 23 juillet lors d’une longue visioconférence de presse. Après un début de saison fulgurant marqué par une victoire historique sur Paris‑Roubaix Femmes en avril, la Française de la Visma | Lease a Bike a connu un passage compliqué suite à une blessure à la cheville et à plusieurs maladies. Absente des pelotons depuis plus de deux mois, la championne olympique de VTT revient plus affûtée que jamais : détendue, lucide et ambitieuse, elle détaille ses objectifs, la montée en puissance du cyclisme féminin… et son rêve de toujours : le Tour de France.

 

« Je n’aime pas vivre dans le passé »

Comment te sens-tu aujourd’hui ?

J’ai terminé mon stage, et au-delà de la performance, je garderai un souvenir à vie de cette période. On a vraiment passé de bons moments.

 

Après ta médaille d’or olympique, tu as très vite choisi de revenir sur la route. Pourquoi ce besoin si rapide de te relancer dans un nouveau défi ?

Avant même les Jeux, je me posais déjà la question de ce que je voulais faire ensuite. Pour moi, c’était important de prendre le départ des Jeux en sachant ce qui m’attendrait après. Je sais aussi que l’année qui suit les Jeux est une période de transition un peu floue, pas toujours agréable : on a encore trois ans avant la prochaine échéance, et on peut vite se sentir perdu. Je n’avais pas envie de vivre ça. Alors j’ai pris la décision de changer complètement de discipline, de revenir sur la route, pour ne pas sombrer dans cette sorte de vide. Ça m’a permis d’avoir un objectif tout de suite après les Jeux, de rester motivée. Et je ne regrette vraiment pas : quand les Jeux sont encore si loin, on a besoin de se raccrocher à autre chose.

 

Ce retour sur route t’a permis de tourner la page des Jeux ?

Oui, clairement. Je n’aime pas vivre dans le passé. Même si c’était un moment incroyable, je ne veux pas m’y accrocher sans cesse. J’ai besoin d’avancer, de progresser. Ce que j’ai fait, c’est fait. Maintenant, place à la suite. Je veux écrire la suite de mon histoire.

 

« Si je ne gagne pas le Tour de France… »

Dès le premier week-end en Bretagne, on aura deux étapes compliquées. Comment les abordes-tu ?

Je les ai reconnues. Ce sont deux étapes qui vont être difficiles. La première est assez courte, avec des petites routes, ce qui la rend nerveuse. Et la deuxième est déjà vraiment dure. On ne pourra probablement pas gagner le Tour dès ces deux étapes, mais on peut le perdre. Il faudra rester vigilante, courir devant, être à l’affût. La montée de la Madeleine, elle, durera une heure et demie : là, on ne parle plus d’écarts en secondes, mais en minutes. Il faudra trouver le bon équilibre entre être présente dès le départ, sans brûler trop d’énergie en vue de la fin du Tour.

 

Dans ta carrière, où places-tu l’objectif de gagner le Tour par rapport aux autres ?

C’est une très bonne question. Gagner les Jeux, c’était devenu une obsession. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais eu le sentiment de ne pas avoir accompli ma carrière. Le Tour, c’est différent. C’est un rêve de petite fille. Ce n’est pas une obsession, c’est quelque chose que j’ai envie de conquérir. Si j’y arrive, ce sera magnifique. Si ce n’est pas le cas, ce ne sera pas la fin du monde. Contrairement aux Jeux, qui étaient vraiment l’objectif de ma vie.

 

« Les deux dernières étapes seront très, très dures »

Le Col de Joux-Plane arrive dimanche, assez loin de l’arrivée. Quelle importance lui accordes-tu ?

Je suis curieuse de voir comment le peloton va récupérer après une étape comme celle de la Madeleine. Tout le monde voudra tout donner dans les derniers jours. Joux-Plane va se grimper vite, même si c’est plus court et moins dur que la Madeleine. Il y a quelques passages raides, mais globalement, c’est plus roulant. Derrière, il y a encore le col du Corbier, une descente, et une arrivée qui est toujours un peu en prise. Les deux dernières étapes seront très, très dures. C’est pour ça qu’il faudra garder des forces.

 

Si une opportunité se présente pour prendre le maillot jaune dès le début, la saisiras-tu ou préfères-tu temporiser ?

C’est une très bonne question, mais ce sera aussi le rôle de Marianne [Vos] sur les deux premières étapes. Ce sont des bosses qui lui conviennent bien. De mon côté, je suis moins punchy que lors des classiques, car j’ai progressé dans les longues ascensions. Donc on aura chacune notre rôle : elle sur les premières étapes, moi pour la suite.

 

Ta jeune coéquipière Marion Bunel, quel regard portes-tu sur elle, et sur votre relation ?

J’ai découvert Marion l’an dernier sur les Mondiaux route. C’était un peu le petit bébé de l’équipe. J’étais vraiment contente qu’elle rejoigne Visma. Ça m’a rappelé mes débuts chez Rabobank, avec Marianne (Vos) et Annemiek (Van Vleuten). Ce sont des souvenirs que je garderai toute ma vie. Je me suis dit : si je peux faire la même chose pour Marion, l’accompagner, répondre à ses questions, être là si elle a besoin, alors je le ferai. Mais elle est déjà très mature, très intelligente, et je me rends compte que c’est parfois elle qui m’apprend des choses. C’est une super personne, et c’est bien, en tant que Française, de se soutenir entre nous. Je me rappelle quand j’étais la seule Française chez Rabobank, ce n’était pas simple au début. Je pense que ma présence la rassure un peu. Aujourd’hui, elle est bien intégrée, c’est un peu la mascotte de l’équipe. C’est un vrai bonheur de l’avoir avec nous.

 

« Quand j’étais petite, j’étais scotchée à la télé tout l’été »

Le Tour de France, tu dis que c’est un rêve de petite fille. Peux-tu développer ce que représente cette course pour toi ?

Quand j’étais petite, j’étais scotchée à la télé tout l’été. Je suivais chaque étape, j’avais un cahier où je notais les noms des vainqueurs. Je collectionnais les cartes de coureurs. Le Tour, c’était une passion. J’étais fascinée, et un peu déçue de voir qu’il n’y avait pas de Tour féminin aussi visible que chez les hommes. On ne se rendait pas compte à l’époque qu’il en existait un. Le Tour, c’était les grandes vacances, l’été, une période qui sentait la liberté. Il y a beaucoup de souvenirs qui remontent avec cette course.

 

Quelles sont les équipes que tu identifies comme les plus dangereuses pour le classement général ?

Il y en a beaucoup. FDJ-SUEZ, bien sûr, qui est ultra-favorite. Kasia (Niewiadoma) aussi, avec Canyon-SRAM : elle sait parfaitement se préparer pour ses grands objectifs. SD Worx est toujours solide. UAE, avec Elisa (Longo Borghini), qui vient de remporter le Giro. Il y aura beaucoup de densité cette année. Ce sera un beau Tour de France, avec du suspense. C’est important. J’avoue que chez les hommes, après la domination de Pogacar, je m’étais un peu détachée, en me disant « Bon, il a déjà gagné. » Chez les filles, je pense que le suspense tiendra plus longtemps, au moins jusqu’à l’étape de la Madeleine. C’est une bonne chose.

 

Le peloton féminin évolue vite. Est-ce que tu le ressens sur la route ?

Oui, forcément. Les vélos et le matériel évoluent, mais c’est surtout la densité du peloton qui a changé. Il y a dix ans, on était une dizaine à pouvoir jouer devant, et le reste du peloton était beaucoup plus en retrait. Il y avait moins d’organisation, moins de rôles définis. Aujourd’hui, c’est vraiment devenu un sport d’équipe. On travaille ensemble, on discute des rôles de chacune, on construit des stratégies. Ce n’est plus « toi, tu fais ça, point ». On échange, on décide ensemble. Et je pense que c’est plus efficace, plus motivant. C’est ce professionnalisme que j’aime dans notre équipe.