La première fois qu’on avait rencontré Gabi Hartmann, c’était en 2023, pour les Nuits Dime On du Cap Estel, à Eze. Le lieu, paradisiaque, était traversé par un vent à décorner les bœufs. À Saint-Paul-de-Vence, deux ans plus tard, ça soufflait encore très fort à l’heure de notre rendez-vous avec la chanteuse, juste avant son concert au Festival de Saint-Paul. La trentenaire, elle, n’est pas du genre à jouer les tornades, préférant le souffle chaud de la bossa-nova ou d’autres rythmiques suaves entendues lors de ses pérégrinations entre le Brésil, l’Afrique du Sud, la Guinée ou le Portugal.
Son premier album, Gabi Hartmann, lui avait permis d’atteindre la tête des ventes en France dans la catégorie jazz. Si elle ne renie pas cette influence, celle qui a autrefois assuré les premières parties de Jamie Cullum ou Melody Gardot se laisse volontiers voguer vers d’autres horizons, plus pop, folk ou soul.
Sur La Femme aux yeux de sel, son deuxième disque sorti en mars, Gabi Hartmann déroule une sorte de conte, où la douceur du timbre tranche parfois avec des paroles plus engagées, de la part d’une femme ayant étudié les sciences politiques et la philosophie, qui avait organisé des concerts pour les réfugiés de la « jungle » de Calais il y a une dizaine d’années.
Comment est construit votre album?
On peut dire que l’album est découpé en trois chapitres. Le premier chapitre c’est l’innocence, la joie, la découverte. Le deuxième, c’est la tristesse, la mélancolie, l’indécision. Et le troisième c’est l’apaisement, la renaissance. Mon but, c’était qu’à l’intérieur de chaque morceau, il y ait des étapes qui me fassent grandir. Le personnage s’appelle Salinda, mais c’est un peu moi finalement, qui grandis et me transforme.
Arrive-t-il que des auditeurs passent à côté de la portée plus politique de certains morceaux comme Le Lever du soleil, qui évoque la montée du fascisme?
Je pense, oui. Je n’impose pas le sens, je laisse un peu ce double champ d’écoute aux gens. Certains peuvent apprécier les sonorités, ressentir des émotions au travers d’elles. Et d’autres vont peut-être plus s’arrêter sur les paroles. J’ai besoin d’être une artiste qui vit dans son temps et il y a des choses qui m’affectent. On vit dans un monde de plus en plus inquiétant, avec de plus en plus de conflits, de guerres. Je me sens inquiète, et cela influe forcément ma manière d’écrire ou de composer.
Avez-vous ressenti la fameuse pression du deuxième album?
On m’avait dit que c’était difficile, qu’il allait falloir redoubler d’efforts, qu’on m’attendrait peut-être au tournant, aussi. Mais on a eu beaucoup de bons retours, de gens et de journalistes qui ne viennent pas forcément du jazz. Cela m’a donné beaucoup de courage et d’envie de continuer. Tout comme le fait d’être retenue parmi les dix finalistes du Prix Joséphine des artistes [une récompense qui salue des jeunes talents pour leur qualité et leur audace, sans considération de genre musical ni de notoriété, verdict final le 30 septembre, ndlr].
Après le français, l’anglais et le portugais, vous chantez en espagnol…
Oui, parce que je me suis de plus en plus intéressée à la musique d’Amérique du Sud, au-delà de la musique brésilienne qui m’a captivée quand je vivais là-bas. Récemment, j’ai eu un coup de cœur pour des sonorités argentines et mexicaines. J’ai voulu rendre hommage à l’Argentine Mercedes Sosa en reprenant La Pomeña.
Sur Lakutshon’ ilanga, vous passez même au xhosa, une langue bantoue parlée en Afrique du Sud, pour saluer la chanteuse Miriam Makeba. Que vous inspire-t-elle?
Cette chanson, c’est quelque chose que j’ai voulu ressortir de mon passé, quand j’étudiais l’ethnomusicologie et que j’avais un cours de chant sud-africain. Miriam Makeba, je trouve qu’elle mérite sans doute plus d’hommages. Elle est partie en exil très tôt, elle avait fait un premier album où elle critiquait beaucoup la situation de l’Apartheid. En plus d’être une grande chanteuse, c’était aussi une grande actrice.
Encore trois soirées à Saint-Paul
Ce vendredi à la Fondation CAB, rencontre entre la viole de gambe de Valentin Tournet et les platines de Djedjotronic. Samedi, duo de pianistes de haut vol avec Beatrice Rana et Massimo Spada, place de la Courtine. Et dimanche, au même endroit, le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste Guillaume Bellom. Rens. festivalsaintpauldevence.com