Au mois de juin, l’avocat aux 800 procès, André Buffard, publiait Coups de Maître, un ouvrage co-écrit avec la journaliste judiciaire Marie Perrin et publié aux Editions du Progrès. Pour la première fois, il revient sur les grandes affaires qui ont marqué sa carrière de pénaliste, ainsi que sur des dossiers moins connus du grand public. Une immersion au sein du procès d’assise, sur laquelle Me André Buffard a accepté de revenir à travers une interview en deux parties.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre maintenant ?
Depuis le début de ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir à plaider ou à connaître des affaires absolument passionnantes. Et depuis le début, j’ai toujours mis de côté les dossiers intéressants en me disant que, si un jour j’avais le temps, j’écrirais dessus. Dans un premier temps, j’ai écrit des polars, ce qui est pratique car cela permet de se cacher derrière des personnages, mais un jour il fallait que j’essaie d’écrire sur tout cela. Je côtoyais Marie Perrin, chroniqueuse judiciaire au Progrès depuis une dizaine d’années, qui me disait de me lancer, et elle était prête à faire une partie interview sur le métier. C’est comme ça que l’idée est venue, elle m’interviewait sur les aspects de la profession, le métier, la justice, et de mon côté je racontais un certain nombre d’histoires. Les mémoires d’avocat, ça ne m’a jamais intéressé. Pourquoi ? Parce que généralement c’est une longue succession de triomphes de l’avocat qui se raconte… c’est un peu saoulant. L’idée n’était donc pas de me raconter, mais de raconter ce qui est l’essence de ce métier, c’est-à-dire les vies, les histoires des gens que j’ai défendu. C’est ce que j’ai essayé de faire.
Vous vous dites notamment motivé par l’envie de gagner. Mais quand vous acceptez de défendre un Jean-Claude Romand, par exemple, vous savez pourtant que vous ne gagnerez pas ?
Oui. Quand quelqu’un me saisit de sa défense, mon rôle sera de faire valoir sa position, contre vents et marées, tout en restant dans le cadre de la loi. Dans ce rôle de défense il y a des moments où il faut gagner et essayer de faire acquitter quelqu’un qui conteste sa culpabilité, ou faire condamner quelqu’un qui essaie d’échapper à sa responsabilité. Quand on est en présence de quelqu’un qui est évidemment coupable, gagner c’est faire valoir les circonstances qui expliquent comment il en est arrivé là, ou minimiser la gravité de la peine qui peut être prononcée.
Ça, c’est le cas quand on a un client qui coopère. Mais comment fait-on lorsqu’il s’obstine sur des versions fumeuses, d’un homme en noir qui aurait surgit de nulle part et commis les faits ?
Oui, l’homme en noir passe souvent… Je ne suis obligé à rien. Quand on accepte la défense de quelqu’un, l’avocat conserve son indépendance. Evidemment, il dit à celui qu’il défend ce qu’il pense de sa version. Après, soit vous considérez que ce qu’il raconte va le ridiculiser et vous ridiculiser devant une juridiction et vous ne le faites pas, ou alors vous défendez la thèse qu’il soutient en essayant d’expliquer que même si cela semble un peu surprenant, ou un peu aberrant, peut-être qu’il y a une part de vérité. Après, la notion de gagner ne veut pas dire grand-chose. Quand vous faites le bilan d’une carrière d’avocat, elle est marquée par des acquittements et de nombreuses condamnations, donc la notion de victoire dans ce métier est très relative. Je considère que j’ai gagné lorsque les juges ont adhéré ne serait-ce qu’en partie à ce que j’ai développé.
Dans le livre, vous dites toujours croire en la culpabilité de Jean-Paul Gournier. Pourquoi ?
C’est une évidence. Pour une raison simple. Ses parents sont morts d’une injection de curare. Lui dit que sa mère a tué son père et s’est suicidée. Il dit que si on n’a pas retrouvé la seringue, c’est parce que la police ne pense pas à un crime dans un premier temps, et ne fait donc pas d’investigation particulière. Selon lui, la seringue devait être dans la cheminée, à quelques mètres des parents. Donc madame Gournier pique son mari, s’injecte le curare, puis va jeter la seringue et retourne dans le canapé pour mourir. Cette thèse ne résiste pas une seconde devant un médecin. Tous les experts disent que c’est impossible, sauf le dernier, qui va lui valoir son acquittement. A l’époque, des gens viennent me voir pour me demander d’abandonner car il s’agit d’un monsieur issu de la bonne société stéphanoise. C’est le pire à faire… Le juge d’instruction avait mis tout le monde sur écoute, et on y entend un certain nombre de témoins se mettre d’accord. Gournier dit même « il faut éliminer cette vérole de Buffard car s’il est parti civile, il est capable de me faire condamner ». Au second procès, qui se fera sans moi, ces écoutes ne pourront pas être diffusées en raison d’un problème technique et il fera témoigner un expert canadien qui vous dira qu’on peut courir et danser après une injection de curare. Il sera acquitté, et je respecte cette décision.
Il y a le sport aussi…
Oui c’est ma deuxième vie ! J’avais fait un mémoire de DESS sur le statut juridique du footballeur professionnel puisqu’à cette époque tout bascule et les joueurs cessent d’appartenir à leur club. Cela m’a valu un petit succès et du coup le vice-président de l’ASSE de l’époque, Henri Fieloux, me fait rentrer au conseil d’administration du club et me confie le journal de l’AS Saint-Etienne, un bonheur. Pendant deux à trois ans je me balade aux quatre coins du monde avec cette génération de joueurs exceptionnelle. Et puis il y a cette histoire de la caisse noire. A l’époque, Roger Rocher va hurler, en pensant qu’il s’agit d’un putsch et que j’envisage de prendre sa place, alors que pas du tout. En même temps, le maire de Saint-Etienne, Joseph Sanguedolce, imagine quant à lui que je fais tout ça pour me présenter aux municipales l’année suivante. Ce qui me vaudra la haine de ceux qui pensent que je veux la place de Rocher, ainsi que de ceux qui pensent que je veux celle de Sanguedolce. J’avais 34 ans, et, pour parler vulgairement, j’en ai chié. Je n’imaginais pas faire face à cette masse de haine, de menaces, et encore il n’y avait pas les réseaux sociaux… sinon j’aurais été laminé. L’affaire est simple. A l’époque, un certain nombre d’administrateurs du club ont le sentiment qu’il y a une gigantesque caisse noire, qui remplace pratiquement la comptabilité officielle, donc ils prennent peur. Comme je suis avocat, ils pensent que ce serait bien que j’aille sur la ligne de crête. Je vais donc voir Rocher quelques jours avant un conseil d’administration, pour lui dire que des administrateurs vont lui poser des questions et que je les représente. Sa réaction c’est ‘vous voulez prendre ma place’.
Il est sûr de lui à ce moment-là ?
Il est sûr de lui.. comme Gaël Perdriau est sûr de lui aujourd’hui, comme tous ces gens qui, à un moment donné, ont accédé à un pouvoir dont ils pensent qu’il les préserve de tout. Comme Tapie. Or, personne n’est intouchable. A l’époque Roger Rocher peut paraître intouchable. C’est vrai qu’il a fait de l’AS Saint-Etienne un bon club, mais ce n’est pas la même chose.
Dans un second volet, Me André Buffard reviendra sur l’affaire de chantage à la vidéo intime, le suicide de Pierre Chanal, ou une affaire plus insolite…