En 2018, le Stade toulousain avait fait le pari audacieux de recruter Jerome Kaino, malgré ses 35 ans. Mais Ugo Mola et Didier Lacroix étaient alors convaincus que le double champion du monde néo-zélandais était l’homme idoine pour accompagner l’éclosion d’une génération dorée. Retour sur son arrivée en France.

Et si c’était lui, l’homme qui a fait basculer le Stade toulousain dans une nouvelle ère ? Depuis la saison 2018-2019, les Rouge et Noir ont empilé sept sacres (cinq en Top 14 et deux en Champions Cup), faisant de la génération actuelle, emmenée par les Dupont, Ntamack, Ramos, Marchand, Cros et autres, l’une des plus brillantes de l’histoire de l’institution la plus titrée de la planète rugby. Une bande de surdoués qui, alors considérés comme des immenses promesses, a vu débarquer un double champion du monde à l’été 2018, en la personne de Jerome Kaino.

L’intéressé, légende des All Blacks (81 sélections) qui a formé avec Richie McCaw et Kieran Read l’une des troisième ligne les plus mythiques de ce sport, s’est ainsi lancé un ultime défi à 35 ans. Disant, au passage, adieu à l’équipe nationale avec laquelle il avait connu ses dernières capes contre les Lions britanniques et irlandais en 2017. « Il y a des nouveaux joueurs qui arrivent, plus jeunes et plus en forme que moi, affirmait-il alors. Il faut l’accepter. Ce n’est pas facile. Je crois que personne n’est jamais prêt à tourner le dos aux All Blacks. Mais personne n’est éternel. » Et de poursuivre : « Deux options s’offraient à moi : tenter le coup, tout de même, de rester en Nouvelle-Zélande en espérant jouer la Coupe du monde 2019 mais avec la probabilité, très forte, de ne pas atteindre cet objectif. Ou couper par moi-même et partir, tenter un nouveau challenge, ailleurs. Cette deuxième option ne se présenterait qu’une seule fois, et c’était maintenant. Le choix était finalement évident, non ? Je leur ai donc dit que j’arrêtais, que je sentais bien que mon heure était venue. Que le plan B, celui de la France, me plaisait davantage. »

Kaino : « J’étais en contact avec Toulouse depuis longtemps »

Le choix de France, justement… Pas anodin chez Kaino, comme il le confiait quelques mois avant d’arriver : « Ma femme a des origines françaises. Sa grand-mère vivait à Rouen. J’avais envie que mes enfants connaissent cette partie de leurs racines. Ma famille a été à mes côtés et m’a soutenu, tout au long de mon parcours international. Il était temps de leur rendre tout cela. Pour la première fois de ma carrière, j’ai fait passer ma famille en priorité. » Il n’était pas pourtant évident que le point de chute serait toulousain, même si le club de la Ville rose cherchait un renfort de poids en troisième ligne, capable de jouer numéro 8, depuis plus d’un an. Une quête dans laquelle il a souvent croisé le fer avec Toulon. Un accord était ainsi tout proche avec l’Argentin Facundo Isa début 2017 mais le Puma avait opté pour… le RCT au dernier moment. Il avait aussi tenté d’attirer Duane Vermeulen fin 2018, qui arrivait au terme de contrat à… Toulon, mais le Springbok avait choisi de partir au Japon. Puis, il y eut donc l’opportunité de Kaino. Après des semaines de discussions, le Néo-Zélandais avait restreint sa décision à deux destinations possibles : Toulouse ou… Toulon. Malgré des offres salariales sensiblement équivalentes, l’ancien des Blues d’Auckland a tranché en faveur de Toulouse. La raison principale ? La Ville rose était mieux pourvue en écoles internationales pour ses enfants.

Ce fut un gros coup pour le duo composé par Ugo Mola et Didier Lacroix, arrivé à la présidence durant l’été 2017. D’autant plus fort que, sur le strict plan sportif, Toulouse était dans une période de transition après avoir connu un déclin et même terminé à la douzième place du classement à l’issue de la saison 2016-2017. Ceci, alors qu’après son triplé en Champions Cup (2013, 2014 et 2015), le RCT avait encore été finaliste du championnat en 2016 et 2017. Mais les équipes de Lacroix ont trouvé les arguments pour convaincre Kaino, que le club ne laissait pas insensible depuis plusieurs années, comme il le confiait : « J’étais en contact avec Toulouse depuis longtemps. Avant de partir au Japon (en 2012, N.D.L.R.), j’avais déjà discuté avec eux et le challenge m’intéressait. Thierry Dusautoir était leur capitaine et nous en avions parlé ensemble. De la ville, du club, de son fonctionnement et de ses ambitions. Ce que j’en ai entendu me plaisait. À cette époque, je crois que je n’étais tout simplement pas prêt pour un si long voyage. Désormais, je le suis. »

Lacroix : « Des joueurs comme ça, il y en a peut-être dix sur la planète »

Lacroix, persuadé que son talentueux mais jeune groupe avait besoin d’un leader de cette trempe, se félicitait forcément de ce recrutement : « C’est plus qu’un joueur, c’est quelqu’un qui va apporter son expérience, son exigence, sa volonté de travail pour faire grandir ses coéquipiers et faire évoluer le club. Des joueurs comme ça, il y en a peut-être dix sur la planète. Lui en fait partie. » Un rôle qui attirait Kaino : « Je crois que le club attend de moi cette part de leadership, sur et en dehors du terrain, sur tout ce qui touche à la préparation. Une sorte de « papa ». Mais je ne vais pas arriver et dire : « Regardez comment on fait en Nouvelle-Zélande. » Ce serait la pire des choses. » Pour autant, rapidement, des doutes avaient été émis sur la réelle motivation et l’état physique du joueur, à un âge où beaucoup de rugbymen sont déjà à la retraite. La suite donnera évidemment raison à Mola et Lacroix. Le dirigeant revenait dessus en 2021 : « Quand on l’a recruté, un article disait que Toulouse montrait qu’il n’avait plus les moyens d’être dans la cour des grands, qu’il avait pris une vieillerie qui arrivait en fin de parcours sur le marché européen. Ça m’avait blessé comme rarement. Parce que c’était ne pas comprendre pourquoi on l’avait pris. […] Dès le premier matin, il était là avant tout le monde en salle de muscu et, petit à petit, il a rayonné dans le vestiaire. Pour moi, Jerome Kaino, c’est un seigneur. »

Sa première saison, durant laquelle Toulouse n’a perdu que trois matchs en Top 14, fut tout simplement exceptionnelle, avec un Bouclier de Brennus remporté en juin 2019, sept ans après le dernier du club. « Je connaissais beaucoup de joueurs avant de venir, donc je savais qu’il y avait de superbes individualités, expliquait Kaino. Mais j’ignorais si elles pouvaient jouer en équipe. Au bout de cinq matchs, j’étais convaincu que oui. Très tôt dans la saison, j’ai été persuadé qu’on pouvait aller très loin. J’ai juste essayé d’en convaincre aussi mes coéquipiers… » Une influence naturelle qui avait conduit Mola à le nommer capitaine, après la grave blessure de Marchand durant le Tournoi des 6 Nations. Une évidence. Avant d’intégrer un staff dont il fait toujours partie, en s’occupant aussi des espoirs du club, Kaino avait définitivement marqué l’histoire du Stade toulousain en participant au doublé de 2021. Et en montrant ainsi la voie à des garçons considérés aujourd’hui parmi les meilleurs du monde. « Comme Charlie Faumuina (pilier all black arrivé un an avant Jaino, NDLR), Jerome Kaino a été l’élément décisif pour faire changer ce groupe de dimension, confiait Mola il y a quelque temps. Il a apporté son vécu du très haut niveau, sa rigueur dans le travail au quotidien et sa culture de la gagne. Cela a infusé en interne, et il a quelque part légitimé notre projet. » Sacrée pioche.