Au bout d’un petit chemin longeant des jardins ouvriers à Montivilliers (Seine-Maritime), tout à côté d’un champ de lin en fleur, la construction de béton apparaît, entourée de verdure. « Nous sommes ici sur ce que les Anglais avaient appelé Point fort 1, le premier bunker qui a été pris lors de l’opération Astonia.
Celle qui a permis de libérer la ville du Havre en septembre 1944 », détaille Adrien Colas, le chargé de mission qui recense depuis l’été 2023 le patrimoine militaire bâti de la Seconde Guerre mondiale pour le compte de la communauté urbaine du Havre et le service régional de l’inventaire. « En ce moment, je me concentre sur les fortifications installées tout autour du Havre dont le but était d’empêcher les alliés de venir des terres ».
Un travail de bénédictin pour laquelle le jeune historien se plonge dans les archives allemandes, celles des alliés, de la presse locale, les photographies aériennes compilées sur le site de l’IGN. Tout en bénéficiant de l’appui de bénévoles des associations dédiées à la Seconde Guerre mondiale. Voire des témoignages d’habitants qui ont aussi été sollicités. Il enfile ensuite chaussures de randonnée et pantalon épais pour aller sur le terrain, où il n’est pas rare de devoir tracer son chemin à travers les ronces, pour aller examiner de visu le fruit de ses recherches.
Chaque site sera cartographié
« Ce recensement a plusieurs objectifs pour nous », assure Jean-Baptiste Gastinne, premier adjoint havrais qui suit ce dossier avec intérêt, étant lui-même docteur en histoire. « Le premier est scientifique puisque chaque construction va être cartographiée et bénéficier d’une fiche détaillée expliquant sa fonction et son histoire. Cela permettra de mieux comprendre la complexité de ce vaste système de défense. Le second est urbanistique. C’est toujours utile d’éviter les mauvaises surprises au moment de lancer la construction d’un bâtiment public ou d’un projet immobilier comme c’est déjà arrivé par le passé. Enfin, il y a une dimension patrimoniale. Pourquoi ne pas imaginer des parcours de découverte autour des sites les plus emblématiques de cette période ? »
Et si les premières recherches se sont concentrées sur la ville centre, le reste du territoire n’est pas oublié. « Rien qu’au Havre, j’ai identifié plus de 300 constructions. Et depuis un an, je m’attaque aux 53 autres communes qui font partie de la communauté urbaine », explique Adrien Colas tout en pointant le fait que parfois la mémoire collective évite de se souvenir de l’existence de ces témoins immobiles d’un passé douloureux. « Les bunkers ont été parfois réutilisés comme hangar, mais beaucoup ont été enterrés ou laissés à l’abandon. À l’époque, les gens voulaient passer à autre chose ».
Il n’empêche. Ce vaste réseau de constructions érigé entre la fin de l’année 1941 et jusqu’au premier semestre 44 fait toujours partie du paysage pour l’observateur attentif. Et présente une grande diversité de gabarit et de fonction. Du petit « tobrouk » où un seul soldat pouvait se glisser pour observer de potentiels ennemis à des batteries fortifiées comme celle des Monts-Trottins à Fontaine-la-Mallet en passant par des postes de commandement comme ce bunker modèle R-622, ouvert régulièrement à la visite, situé au Bois des Marettes.
« Les abris étaient standardisés pour être reconstruits à l’identique tout le long du mur de l’Atlantique, là où ils sont les plus connus », continue Adrien Colas qui va ensuite remonter le long du littoral de la côte d’Albâtre pour achever une tâche qui devrait l’emmener au moins jusqu’à l’été 2026.