Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale [LBDSN] de 2008 avait souligné la nécessité de doter la France d’une capacité de détection d’alerte avancée, « interopérable » avec les moyens mis en œuvre par certains pays alliés, afin de suivre « l’évolution des menaces balistiques, déterminer l’origine des tirs et favoriser l’alerte des populations ».
Une telle capacité repose sur un radar transhorizon, comme « Nostradamus » qui, installé en Normandie, est en mesure de repérer des missiles balistiques ainsi que tout engin évoluant dans la très haute altitude [THA] à 3 000 km de distance. Ce moyen peut être complété par des satellites dotés de capteur infrarouges [IR] pour détecter d’éventuels départs de missiles.
L’objectif du LBDSN de 2008 était de disposer d’une autonomie d’appréciation plus large en s’affranchissant, d’ici 2020, des moyens américains, comme les satellites DSP-I [Defense Support Program – Improved] puis SBIRS [Space-Based Infrared System].
Cela étant, au moment de la publication de ce Livre blanc, un programme était déjà en cours. Appelé SPIRALE [Système préparatoire infrarouge pour l’alerte], il reposait sur deux microsatellites qui, mis en orbite en 2009, devaient permettre de constituer une vaste banque d’images infrarouges de la Terre afin de définir ensuite les spécifications techniques d’un futur satellite de détection et d’alerte avancée dont la conception devait commencer en 2016.
Seulement, le programme SPIRALE n’eut pas de suite, les crédits budgétaires pour développer cette capacité ayant manqué. Or, cette dernière serait bien utile actuellement, avec la prolifération des missiles balistiques et des armes hypersoniques.
D’où le programme Odin’s Eye, lancé en 2021 et financé à hauteur d’environ 100 millions d’euros par le Fonds européen de défense [FEDef]. Malgré l’avance prise par la France en matière d’alerte spatiale avancée, la direction de ce projet a été confiée à l’allemand OHB System AG.
Outre l’Allemagne et la France [avec l’ONERA, ArianeGroup, Thales, Thales Alenia Space France, Airbus Defence & Space SAS, MBDA et Lynred], l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, la Lituanie, les Pays-Bas, la Grèce, la Belgique, la Finlande, le Danemark, la Pologne et la Norvège participent à ce projet.
Initialement, Odin’s Eye devait aller de pair avec EU HYDEF [European Hypersonic Defence Interceptor], un autre projet financé par le FEDef visant à développer une solution pour intercepter les armes hypersoniques. À la surprise générale, il fut confié à l’espagnol SENER Aeroespacial, MBDA France ayant été écarté par la Commission européenne. Finalement, ayant contesté cette décision, l’industriel français obtint gain de cause, l’exécutif bruxellois ayant lancé un second projet, appelé HYDIS² [HYpersonic Defense Interceptor Study].
Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’évolution des menaces balistiques et hypersoniques, Odin’s Eye est sans doute plus que jamais nécessaire. En tout cas, c’est qu’ont affirmé le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, et son homologue français, Sébastien Lecornu, lors d’une réunion de travail qui s’est tenue à Osnabrück, le 24 juillet.
Journée de travail avec mon homologue allemand Boris Pistorius, qui m’a fait l’honneur de m’accueillir dans sa ville natale d’Osnabrück, en préparation du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité prévu fin août à Toulon.
Visite conjointe de l’usine de Rheinmetall… pic.twitter.com/hlghtTujqa
— Sébastien Lecornu (@SebLecornu) July 24, 2025
« Au cours de leur discussion, les deux ministres ont également évoqué le système d’alerte précoce ‘Odin’s Eye’. M. Lecornu a souligné que les Européens devaient être capables de détecter rapidement les attaques de missiles » alors que, « pour le moment, ils dépendent totalement des États-Unis à cet égard », a résumé le ministère allemand de la Défense.
Selon la même source, M. Pistorius a estimé qu’il s’agissait d’une « capacité clef qui devrait être développée conjointement. A priori, d’après la presse d’outre-Rhin, la France pourrait intégrer la technologie radar [sans doute Nostradamus] au système issu du projet Odin’s Eye. On en saura sans doute davantage lors du prochain conseil de défense franco-allemand, qui se tiendra à Toulon, à la fin du mois d’août.
À noter qu’Odin’s Eye a été entravé par la… Commission européenne, celle-ci ayant, pendant un temps, refusé de signer les certificats de non-réexportation liés aux études menées dans le cadre de ce projet.
« Cette situation place les industriels français dans une posture délicate puisqu’ils doivent procéder à des transferts sans respecter intégralement les conditions imposées par l’administration et que nous n’avons pas de garanties sur les destinations finales des équipements militaires et industriels que nous aidons à développer », a récemment fait observer le sénateur Aymeric Durox, dans une question écrite adressée au ministère des Armées.
Mais comme l’a indiqué le ministère des Armées dans sa réponse, un compromis a été trouvé « au cas par cas ».
« Ce compromis garantit la maîtrise de la diffusion par la Commission des informations classées qu’elle pourrait recevoir au titre des projets qu’elle subventionne. Une réflexion est également poursuivie avec la Commission afin de mieux prendre en compte cette problématique dans les prochains appels à projets, dans le respect des prérogatives souveraines de l’État », a-t-il expliqué.
Photo : OHB