Manifestation du 1er Mai à Paris en 2025 (photod d’illustration)

ALAIN JOCARD / AFP

Manifestation du 1er Mai à Paris en 2025 (photod d’illustration)

POLITIQUE – Mais qui donc veut bloquer la France le 10 septembre ? Depuis les propositions explosives de François Bayrou sur le budget 2026, la mobilisation se met en place. Si les syndicats ont lancé leur propre pétition pour dire « non », un autre mouvement plus nébuleux a pris place sur les réseaux sociaux.

Il fleurit sous les hashtags « bloquons tout » et « mobilisation du 10 septembre », et intime aux Français de marquer le coup le 10 septembre : pas de télévision, pas d’achat, pas de travail dans une sorte de « confinement sans virus ». Sur le papier pas d’affiliation politique ou syndicale, mais un mort d’ordre : s’opposer aux sacrifices demandés aux travailleurs et « reprendre [le] pouvoir par la protestation pacifique et la solidarité », « pour une société qui protège, qui soigne, qui éduque ».

Comme l’ont repéré nos confrères de CheckNews, le mot d’ordre est d’abord apparu sur le compte TikTok Les Essentiels, lequel prône pêle-mêle sur son site le Frexit, la création d’un revenu des seniors avec diverses propositions économiques, la destitution d’Emmanuel Macron, ou encore l’interdiction des loges maçonniques aux élus ou aux préfets.

Sur ce dernier point, un article se fait le relai du travail d’un juriste qui a fait des frans-maçons une véritable obession, et dont le compte TikTok partage par ailleurs des vidéos pro-russes ou, au choix, accusant des personnalités politiques de faire partie des « élites pédocriminelles ». Soit le tissu classique d’élucubrations conspirationnistes.

Les anciens gilets jaunes, des relais puisssants

Sur Les Essentiels, la photo qui s’affiche à côté du nom des articles permet d’identifier un certain Julien M, lequel apparaît également comme le concepteur du site. La page Facebook d’Essentiels relaie évidemment les appels du 10 septembre, mais aussi des écrits douteux sur le suicide du député LR Olivier Marleix, tout comme des posts ou des vidéos d’éminentes figures des Gilets Jaunes.

Ce n’est donc pas une surprise si, dans la foulée, le 10 septembre est apparu sur les pages de ceux qui se sont mobilisés massivement en 2019. Jérôme Rodrigues bien sûr, mais aussi Anaïs Albertini, comme le relève à nouveau Libération. Depuis, des comptes s’affichant proches du RN, de Reconquête, ou de la France insoumise se sont joints au mouvement. Mais également des pages antivax comme « Le convoi de la liberté », ou encore des syndicalistes comme Céline Verzeletti de la CGT, qui partagent l’appel à faire barrage à François Bayrou et son budget. Quant à Maxime Nicolle, alias « Fly Rider », il semble regarder ce mouvement avec une forme de perxplexité, comme il l’explique sur sa page Facebook.

Pour l’instant, aucun parti ni organisation de travailleurs n’a souhaité officiellement s’inscrire dans le mouvement, dans une méfiance qui n’est pas sans rappeler celle qui avait accompagné les prémices de la mobilisation des gilets jaunes, objet protéiforme difficilement saisissable par le politique. Hasard (ou non) du calendrier, le 19 juillet un site internet et un compte X dédiés à la mobilisation ont été mis en ligne. Or, dès le lendemain, on observe une montée en puissance des termes « gilets jaunes » sur les réseaux sociaux, comme le montre l’infographie issue des données de Visibrain ci-dessous. De quoi illustrer des réseaux et relais qui, six ans après le mouvement, fonctionnent toujours.

Un étrange site internet

Alors, qui se cache derrière ce site qui appelle aussi à la désobéissance civile tout en évoquant des situations de détresse économique bien réelles ? Un individu se présentant comme salarié d’Enedis a répondu à des questions de Libération et de L’Humanité, évoquant une vingtaine de personnes derrière l’initiative. Les deux médias étaient passés par le formulaire officiel du site, mais rapidement ce dernier a assuré que l’intercoluteur en question n’était pas légitime et qu’il s’agissait d’un piratage.

Aucun nom n’apparaît sur la plateforme, néanmoins quelques indices permettent d’en savoir un peu plus. Tout d’abord une page du site met en avant un tweet du compte X « Au bon touite français », connu pour relayer des idées prorusses et eurosceptiques, des fake news complotistes, à l’image l’intox transphobe visant Brigitte Macron. Pourquoi ce tweet plutôt que les milliers d’autres, et dont le sujet est très éloigné de la copie budgétaire de François Bayrou ? Mystère.

Le site invite par ailleurs à le suivre sur l’ensemble des réseaux sociaux mais renvoie vers un groupe Telegram. Le HuffPost est allé faire un tour sur ce canal qui rassemble désormais plusieurs milliers de personnes et propose de s’organiser à divers endroits de France. Les membres s’y écharpent notamment sur l’orientation politique du mouvement, untel évoque « l’État profond », quand d’autres assurent ne pas vouloir « de nazis » dans l’aventure.

Un administrateur de « gauche », mais…

Dans ce brouhaha numérique, un administrateur revient : Maxime Mayoral. Contacté par franceinfo, cet ancien gilet jaune et candidat aux législatives sous la bannière « l’Écologie autrement », l’assure : il est « de gauche » et se dit issu d’une famille de syndicalistes. Sa page Facebook mêle opposition au gouvernement et défense de Gaza, entre autres publications plus douteuses. Car le nom de Maxime Mayoral apparaît également dans les sphères covidosceptique et assimilées.

On retrouve ainsi le même Maxime Mayoral derrière la page facebook « Résistance et liberté ». Cette association figure parmi les partenaires d’une conférence à Paris sur le thème « Santé et humanité ». Parmi les invités, un certain Nicolas Dupont-Aignant, ancien allié de Marine Le Pen devenu agitateur complotiste. Mais aussi Jean-Marc Sabatier, épinglé par Marianne parmi les « chercheurs du CNRS en roue libre ». La raison ? Son rôle important au sein des sphères de désinformation sur la vaccination.

L’événement a également été co-organisé par l’association antivax « Coalition européenne ». Dans les membres fondateurs, figure toujours ce même Maxime Mayoral. On trouve en revanche dans les « sites partenaires » de la coalition TV ADP, la télé « libre » de « l’alliance des peuples ». Un média qui donne notamment la parole à Jean Michel Vernochet, journaliste et essayiste d’extrême droite ayant collaboré avec Rivarol ou pour le site antisémite d’Alain Soral, « Égalité et Réconciliation ». Une certaine idée du peuple, effectivement.