La maison des secrets s’est séparée d’une pièce mythique. (Photo d’illustration)

Lucie Cosnier / TF1

La maison des secrets s’est séparée d’une pièce mythique. (Photo d’illustration)

TÉLÉVISION – Opération Séduction, L’île de la tentation, Secret Story, Nice People et bien avant cela Loft Story… Pour toute une génération de téléspectateurs français, l’été a longtemps rimé avec téléréalité, important dans les foyers ce qu’il faut d’embrouilles et de stratégies, mais aussi de frivolités et d’amusement, entre amis ou… amants.

Loana et Jean-Édouard, mais aussi Cyril et Alexandra, ou encore les infidélités de Brandon : qu’il s’agisse d’une émission de dating ou d’enfermement, les ébats sexuels des candidats ont fait les choux gras des programmes, avec tout ce que cela suppose de sexiste ou controversé.

Quid de la téléréalité d’aujourd’hui ? La « Love Room » a été rasée de la Maison des secrets sur TF1. Et l’amour (tout court) de la Star Academy, dont les candidats (souvent très jeunes) sont bien plus intéressés – sans doute à juste titre – par leurs progrès en chant qu’à roucouler ensemble. Assistons-nous à un changement de paradigme ? Pour y répondre, nous avons posé la question à la sociologue des médias Nathalie Nadaud-Albertini, spécialiste de la téléréalité.

Le HuffPost : Le sexe a-t-il disparu des émissions françaises de téléréalité ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Ça dépend. Si vous prenez la Star Academy aujourd’hui, il n’y a pas de sexe. C’est axé sur la formation, le chant et les performances. Alors que dans les premières moutures, les relations amoureuses entre les candidats étaient plus montrées. Ça faisait partie de l’identité de l’émission.

Dans La villa des cœurs brisés, on continue de parler des relations affectives. On peut voir, par exemple, des candidats dire qu’ils ne sont pas monogames, et observer la relation se déployer (ou non). La relation sexuelle n’est, elle, pas vraiment mentionnée, ou seulement dans un cadre très respectueux, comme lorsqu’on entend dire les candidats qu’ils vont faire « dodo » ensemble.

Ça sonne presque enfantin, contrairement à ce qu’on peut voir dans Frenchie Shore, dont les images sont à peine floutées ?

Dans le concept même, il y a l’idée d’expérimenter différentes sexualités avec le buzz qui s’ensuit. Et de le faire de façon décomplexée.

L’émission est diffusée en streaming sur Paramount +. Cela a-t-il une influence sur ce qu’on peut y voir ?

Absolument. Parce que c’est un endroit qui n’a pas d’accès public, cela permet de proposer un autre genre de programme. Il faut payer, après quoi les gens sont libres de regarder s’ils le veulent. Le point d’achoppement, ici, est que certaines images du Frenchie Shore ont circulé sur les réseaux sociaux. Ce qui a ainsi posé la question de leur accès, notamment lors de débats à l’Assemblée nationale.

Quelle place la sexualité des candidats occupait-elle auparavant dans ces émissions ?

La sexualité s’intégrait comme une étape dans la relation amoureuse ou affective entre deux candidats, dont on suivait comment elle se déployait : la séduction, le moment des rapports sexuels, comment ça se passait après, les disputes, etc. Rappelons-le, ces émissions fonctionnaient sur les relations d’amitié, d’amour et d’inimitié.

Aussi, tout dépendait des émissions. Prenons Le Bachelor. Il n’y avait aucune relation sexuelle, car on était simplement sur le sujet de la séduction, avec toute la question sexiste qu’elle pouvait induire. Dans L’île de la tentation, la sexualité était beaucoup plus mise en avant, mais elle racontait quelque chose d’autre. La question était de savoir à partir de quel moment on franchissait la limite, à partir de quand on devenait infidèle. Était-ce un baiser, le fait d’en avoir envie ou la relation en tant que telle ?

Secret Story, qui bat son plein actuellement, s’est pour sa part débarrassé d’une pièce mythique de sa maison : la « Love Room » …

La maison de Secret Story est comme une grande boîte à secrets. On découvre tout au long de la saison un tas de pièces. La « Love Room », c’était le cocon d’amour pour les candidats en couple. C’était un gros enjeu pour eux, une façon d’avoir de l’intimité. C’était une récompense, un événement.

Pour les autres, il leur restait les dortoirs, dont les téléspectateurs ne loupaient rien de jour comme de nuit, grâce (ou à cause) des caméras infrarouges. Elles ont elles aussi disparu, non ?

Je n’ai pas d’images qui m’en viennent aujourd’hui, contrairement à avant. Dans Secret Story, ces séquences (sous la couette) étaient diffusées dans « Mister Secret » (un magnéto phare des moments absurdes ou coquins de la semaine, ndlr). Ça montrait un tas de choses. Les défauts étaient amplifiés, un peu ridiculisés. Maintenant, il y a plus de respect.

Toutes proportions gardées, il y a une tendance générale à davantage de bienveillance, qui exclut ce genre de moqueries. On ne pourrait plus aujourd’hui montrer les « Inoubliables » de la Nouvelle star (séquence anciennement dédiée aux casseroles du programme, ndlr). Aujourd’hui, c’est très gentil, comme on peut le voir avec le « Star Ac Mix ». C’est une moquerie gentille. On rit avec eux, et pas d’eux.

Fini le voyeurisme, donc ?

Le voyeurisme faisait partie des promesses du genre au lancement de Loft Story, qui grâce à ses 26 caméras allumées jour et nuit promettait de « ne rien perdre des nuits tranquilles des habitants ». La relation sexuelle entre Loana et Jean Édouard, avec l’ambiguïté d’où elle s’est déroulée, a rapidement ancré le programme dans le succès et donné son identité au genre : montrer la sexualité sans trop se cacher.

L’idée était de filmer des gens tels qu’ils étaient dans cette volonté de forte proximité avec la vie réelle. John de Mol, qu’on considère comme l’inventeur de la téléréalité moderne, a raconté s’être notamment inspiré de ce qu’on peut voir dans le quartier rouge d’Amsterdam. C’est ce que le sociologue François Jost a appelé le genre authentifiant.

Vous parlez au passé. Les choses ont changé ?

Les formats revendiquent aujourd’hui davantage une part de fiction, comme en témoignent les intitulés de certains programmes de série-réalité ou de docufiction. Certains candidats ne s’en cachent pas d’ailleurs, et ont déjà dit par le passé avoir joué ou rejoué plusieurs fois des scènes. Quant aux caméras, parce qu’elles moins besoin de représenter le réel, elles sont aussi moins nombreuses.

Faire de la fiction permet-il de mettre à l’abris des critiques ?

Certaines critiques d’antan contre ce genre de programmes, oui. À savoir le voyeurisme ou le sadisme, notamment dans le fait de mettre en place des espaces complètement régressifs et dangereux pour les candidats aux yeux de leurs proches. À l’époque, la téléréalité marquait une rupture avec l’espace public tel qu’il était défini par l’universalisme (courant philosophique républicain visant à attribuer à tous les citoyens d’une même nation des règles et valeurs communes malgré leurs différences culturelles, ndlr). Tout ce qui relevait de l’intimité et du féminin, ça ne se montrait pas (dans l’opinion publique). Ce qui en a insurgé plus d’un au début.

Aujourd’hui, on s’insurge d’un autre aspect : le harcèlement des candidats, qu’il se déroule à l’intérieur entre les participants ou à l’extérieur par le public (comme dans le cas d’Ebony de la Star Ac, ou Marianne de Secret Story). Est-ce bien nouveau ?

Ça existait déjà, mais on ne le reconnaissait pas comme tel. Comme dans le cadre des violences sexuelles, on nous disait que ce n’était pas ça le vrai problème. Ça existait, mais on n’en parlait pas. Le harcèlement, on l’évoquait quand certains candidats se suicidaient. Mais on considérait surtout que ce genre de drames rentrait dans ce qu’on appelait le « trash » de la téléréalité, sans mettre les vrais mots sur le phénomène. C’était très difficile de les poser.

Désormais, on dénonce le harcèlement comme étant inadmissible. On le considère. C’est un changement fondamental. On en parle de la bonne façon, c’est relayé dans la presse. Les téléspectateurs se mobilisent pour dire « non », même si au niveau des productions, c’est plus variable. Parfois elles réagissent, comme l’illustre l’exclusion d’un candidat de la saison 8 de La Villa pour des propos sexistes. Avant, on cachait la poussière sous le tapis.