Le tribunal administratif de Strasbourg a validé vendredi 25 juillet la demande de la Ville pour faire évacuer le campement de migrants installé dans le parc du Heyritz. Une centaine de personnes, dont plusieurs familles, devront quitter les lieux sous huit jours, sans qu’aucune solution d’hébergement ne leur ait été proposée.
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Camille Curnier
Publié le 25 juillet 2025 ·
Imprimé le 26 juillet 2025 à 03h59 ·
Modifié le 25 juillet 2025 ·
3 minutes
« On est venus en France pour sauver nos vies. » La voix de Mohammad Hussain, 44 ans, résonne dans la salle d’audience du tribunal administratif de Strasbourg, mercredi 23 juillet. Derrière lui, plus d’une soixantaine d’habitants et d’habitantes du campement du parc du Heyritz ont fait le déplacement. Certains sont debout, d’autres sont assis sur des chaises rajoutées à la hâte, faute de places suffisantes sur les bancs en bois.
Face à eux, la Ville de Strasbourg demande au juge des référés l’autorisation de recourir à la force publique pour évacuer le campement. Elle explique ne pas avoir d’alternative, après avoir demandé en vain que les occupants partent d’eux-mêmes, le 24 juin.
« Il y a urgence à trouver des hébergements »
Installé depuis mars 2025 sur les berges du parc du Heyritz, à la frontière du quartier de Neudorf, le camp abritait encore 116 réfugiés et demandeurs d’asiles en juin et 180, dont 60 enfants, selon les derniers décomptes. Une situation que la Ville, représentée par Me Guillaume Llorens, juge préoccupante. « Le campement est exposé à des risques de chute de branches, notamment en cas de vents violents. Il y a des risques d’incendie à proximité des tentes et le site, situé en bord d’eau, est dangereux pour les enfants en période de vacances scolaires », avance-t-il.
Un argumentaire qui ne convainc pas Me Sophie Schweitzer, Me David Poinsignon et Me Gabriella Carraud, en charge de la défense des familles. « Les personnes qui y vivent y sont contraintes. Tout le monde sait que ce n’est pas une situation idéale, mais aucune solution de mise à l’abri ne leur est proposée », rappellent-ils.
Me David Poinsignon ne cache pas son exaspération :
« Ce type de requête pour obtenir une expulsion devient routinière, presque automatique, la municipalité devrait anticiper et organiser la mise à l’abri sans attendre le démantèlement du camp. Il y a urgence à trouver des hébergements. »
Un préfet qui manque à l’appel
En France, l’hébergement d’urgence relève normalement de la compétence de l’État et donc du préfet, qui le représente dans le département. C’est lui qui doit organiser la mise à l’abri des personnes sans solution de logement, via le numéro unique 115, lié au SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation).
Le 13 juin, la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, a sollicité l’intervention du préfet du Bas-Rhin pour que des solutions soient proposées aux occupants du campement. Une requête restée sans suite, selon la municipalité, qui affirme n’avoir eu d’autre choix que de saisir la justice pour en obtenir l’évacuation.
Un jeu de renvoi de responsabilités entre la Ville et l’État que dénonce Me Sophie Schweitzer :
« Ce n’est pas la seule solution. La Ville, en la personne de la maire, a la possibilité de ne pas expulser sans donner de garanties d’hébergement derrière. Si elle considère que le préfet est défaillant dans son obligation de mise à l’abri, elle peut engager sa responsabilité, voire même l’attaquer en justice. »
Fin juillet, ni la préfecture ni la municipalité n’ont apporté de garanties de mise à l’abri. La Ville affirme toutefois avoir engagé une procédure contre l’État pour dénoncer son inaction en la matière.
« C’est une lutte sans fin »
Vendredi 25 juillet, le tribunal administratif a donné raison à la Ville. Dans son ordonnance, il fait suite à sa demande d’évacuation sous huit jours, avec possibilité de recourir à la force publique si nécessaire.
« La décision rendue est un copier-coller des autres ordonnances, ils n’ont même pas pris en compte nos demandes », regrette Me Sophie Schweitzer :
« Ils prétendent avoir dressé un tableau pour analyser les situations personnelles des habitants du campement et prévoir des hébergements, mais c’est faux. »
Selon l’avocate, seules les personnes relevant d’un hébergement de la CADA, c’est-à-dire les demandeurs d’asile officiellement enregistrés dans le dispositif d’accueil de l’État, pourraient éventuellement se voir proposer une place. « Pour tous les autres, ce sera la rue. Dans huit jours, ils vont les entasser dans un gymnase, faire le tri, et ils repartiront dehors. C’est une lutte sans fin. »
Les avocats prévoient désormais de se rendre sur le campement pour informer les habitants de la décision et se préparer à l’évacuation.