Un peu de culot et une femme enceinte. C’est autour de ces deux ingrédients que s’est nouée la relation entre l’entreprise familiale Fagots et froment, située à Essé (35) et le marché des Lices à Rennes. Et ça fait trente ans que ça dure !
Le départ de cette aventure, Béatrice Rozé, cheveux poivre et sel, lunettes fixées sur le nez, à la tête de la boulangerie paysanne, en garde un souvenir intact. « C’est une histoire particulière », annonce celle qui a pris la suite de ses parents en 2004.
Une arrivée aux Lices
Il faut remonter au printemps 1993. « Ma mère digérait seulement le pain au levain quand elle était enceinte. Un voisin a proposé à mes parents comment faire le pain, mes parents ont accepté. Puis, les gens ont commencé à acheter leur pain et mon père a alors voulu diversifier son activité. »
Pour cela, ils se tournent vers les marchés. « En parallèle, mon frère Yvan avait demandé des sous pour me rejoindre en République dominicaine. Mon père lui dit alors d’essayer de vendre les pains justement sur les marchés. Il avait tout juste 18 ans. Quand il arrive aux Lices, toutes les places étaient prises. » Sur place, le jeune homme insiste auprès du placier de l’époque et réussit à dégoter une place. « Il était à l’extérieur de la halle sur un mètre. Il a installé une petite table. En une heure, tout était vendu. »
L’histoire s’écrit encore
Trente ans après, la commerçante de 57 ans, perdure tous les samedis matin ce rendez-vous, sur un étal de trois mètres, fixé dans la halle Martenot. « Nous sommes présents sur tous les marchés depuis le printemps 1993. Nous n’en avons pas manqué un seul. Nous sommes les plus anciens dans les boulangers. »
Les artisans naviguent dans un premier temps de place en en place, puis ils deviennent titulaires quelques années plus tard avec leur endroit attitré dans la halle Martenot. « De mon côté, j’ai commencé les marchés à la fin des années 1990 », précise la commerçante.
Des relations…
Si Fagots et froment marque de son empreinte le marché des Lices, c’est notamment grâce aux relations développées du petit café partagé aux discussions accoudées à la vitrine. Elle évoque Yann, présent tous les samedis matin avec « sa petite blagounette » ou encore les brins de causettes autour d’un café à la terrasse de café des Trois couleurs en bas des Lices. « Mon père arrivait tôt pour aller boire son café là-bas. On discute de politique, de philo. On refait le monde. »
Béatrice Rozé a démarré les marchés à la fin des années 1990. (David Brunet)
La commerçante a également été témoin du passage de flambeau des générations dans les rangs des commerçants et des clients. « L’autre jour, je n’ai pas vu Joëlle, une cliente de 80 ans. Il faut savoir que son petit-fils est devenu client. Il travaille pour la restauration collective dont l’École supérieure de commerce. Et on livre là-bas. En ne voyant pas Joëlle, je me suis donc inquiété. J’ai donc envoyé un message à son petit-fils. Il m’a dit qu’il faisait trop chaud pour elle. »
…Et des au revoir
Des histoires, moins joyeuses, se sont également jouées devant ses yeux. Celle qui affiche pourtant un grand sourire, raconte avec mélancolie : « Il y a un monsieur, décédé aujourd’hui. C’était un de nos premiers clients. Un jour, il a laissé un message comme quoi il ne fallait pas lui mettre de pain de côté ce samedi-là. Sa femme était décédée. Nous avons assisté à quelques enterrements au fil des années. »
Ou encore ce client venu « faire ses adieux à ses fournisseurs ». « Il nous a dit au revoir car il était très malade », se remémore la boulangère. « J’ai gardé un lien avec sa femme. Elle vient nous voir de temps en temps ».
Pour encore des années
Il n’y a pas que les visages qui ont changé au fil des années. Aujourd’hui, il possible d’acheter des pains aux céréales, cumin, complet ou encore semi-complet, au départ, seulement le pain blanc était proposé à la vente. Puis, les gammes ont changé. En 2004, les clients ont vu apparaître sur les tables des produits bios. « C’est une véritable fierté pour nous. » La farine provient elle en partit de la ferme de son frère.
Fagots et froment continuera dans les années à venir d’écrire la page du marché des Lices. Béatrice Rozé en tête, avec la nouvelle génération : « Ma fille Adèle a 17 ans. Elle a son contrat en parallèle de ses études pour le marché du samedi matin. » L’histoire se poursuit, peut-être pour trente ans encore.