Par

Brian Le Goff

Publié le

26 juil. 2025 à 16h04

« C’est un moment important. J’ai presque envie de dire historique. Des implantations industrielles comme celle-là, ça se produit tous les 20 ans sur un territoire et c’est ce qui permet véritablement pour nous de donner un nouvel élan à ce site de La Janais. » Vendredi 11 juillet 2025, c’est un sentiment de victoire qui habitait Nathalie Appéré, maire de Rennes et présidente de la Métropole, lors de la pose de la première pierre de l’usine Safran sur d’anciens terrains libérés par l’usine Stellantis au cours des décennies. « On se souvient, il y a un peu plus de dix ans, l’usine Stellantis, PSA à l’époque, est purement et simplement menacée de fermeture. On s’est battu pour conforter la présence de l’industrie sur ce site. Alors, aujourd’hui, c’est en effet une nouvelle importante », poursuit l’élue. Alors que la construction de ce nouveau jalon du pôle d’excellence bas carbone a débuté, actu Rennes vous partage les six points essentiels à retenir de ce projet qui devient réalité.

1-) Qu’est-ce que va produire cette usine ?

C’est sur un terrain de 7 hectares que l’usine de 23 000 m² est en train d’être érigée par le groupe brétillien Legendre. « On va y fabriquer des pièces que l’on appelle les aubes de turbines », indiquait le 11 juillet, Stéphane Cueille, président de Safran Aircraft Engines (SAF), la filiale du groupe international spécialisée dans la production des moteurs d’avions.

Pour en savoir plus sur ce qu’est une aube, vous pouvez visionner cette vidéo :

« Ce sont des pièces à la fois de moteurs militaires, notamment le Rafale, et du moteur dit « Leap », composé de 1 500 aubes qui équipe la plupart des avions européens Airbus A320neo, américains Boeing 737 Max et chinois Comoc C919, soit 4 000 appareils de près de 180 opérateurs dans le monde (comptabilisant 75 millions d’heures de vol en opérations).

Cet investissement s’inscrit dans un cadre de montée en activités civiles et militaires, d’où notre motivation à accroître notre capacité et notre résilience dans notre schéma industriel. On doit produire en France pour assurer la souveraineté de nos approvisionnements sur des technologies très complexes qui sont maîtrisées sur un site industriel historique de Safran, à Gennevilliers, qui est aujourd’hui saturé.

Stéphane Cueille
Président de Safran Aircraft Engines

Gardé secret, le montant de l’investissement dans cette zone représente « plusieurs dizaines de millions d’euros », glisse toutefois le patron de SAF.

À terme, au début des années 2030, l’ambition est de produire 500 000 aubes par an sur le site. Toutefois, la direction de l’entreprise se refuse à donner ce que représentera cette production dans son chiffre d’affaires : « On parle davantage de coûts de production. »

2-) Une activité supplémentaire installée dans l’usine

À côté de la production, un atelier de réparation d’aubes pour les avions civils est également prévu. C’est au détour d’une question sur l’avenir du site à long terme et la possibilité que d’autres activités arrivent que Stéphane Cueille souligne, « qu’initialement, dans le projet d’usine rennaise, il n’y avait que la production et que, la réparation a été ajoutée ».

Et ce choix ne résulte pas du hasard. Safran va voir sa flotte de moteurs augmentée avec la croissance de livraisons d’avions 737 et d’A320 dans les prochaines années.

On a aujourd’hui 9 000 moteurs en service. On en aura des dizaines de milliers à terme et ça s’accompagne d’une augmentation de la charge de réparation pour soutenir la flotte concernée.

Stéphane Cueille
Président de Safran Aircraft Engines

Actuellement, le carnet de commandes du groupe pour le moteur LEAP s’élève à 11 600 moteurs. « Ainsi, l’usine de réparation mettra en œuvre des techniques sophistiquées pour réparer le même type de pièces produites, mais pour celles qui reviennent de service. »

L’objectif est d’inspecter 66 000 pièces par an, dont 36 000 réparées.

3-) Quelles retombées économiques pour la métropole ?

Avec ces deux activités, Safran prévoit de créer 500 emplois directs. « Pour un site industriel, ça n’arrive pas tous les jours », assure Stéphane Cueille.

Mais, la création de centaines d’emplois sont tout autant d’habitants qui nécessitent la création de services. Ainsi, on parle d’emplois indirects. Pour ces derniers, le président de SAF estime qu’il est d’un facteur 3. « Globalement, on parle probablement de 2 000 personnes qui vivront à terme des retombées économiques du site. »

Les 500 emplois directs ne seront pas tous créés dès la mise en service de l’usine, prévue début 2027, mais bien quand les lignes de production et de réparation tourneront à plein régime. Soit, à l’horizon 2031.

Le calendrier

– 2025 : début des travaux.
– 2026 : livraison du chantier.
– 2027 : début de la production.
– 2030/2032 : pleine capacité.

4-) L’enjeu des salariés formés

Tous les acteurs veulent que ces 500 emplois soient recrutés sur le bassin rennais. L’enjeu de former les futurs salariés est donc primordial. Et c’est dans cette optique que les élus locaux préparent le terrain.

Il y aura évidemment un enjeu de compétences parce que l’on est sur des procédés extrêmement sensibles qui nécessitent des emplois qualifiés dans différents domaines techniques de production et de maintenance. D’où les enjeux de recrutement et de formation à terme avec nos partenaires.

Stéphane Cueille
Patron de SAF

« Safran a des besoins et il faut que l’information arrive jusqu’aux citoyens, note Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne. On va travailler sur l’orientation en invitant ceux intéressés à se rapprocher de telles écoles, de telles formations, etc. Certaines existent. Toutefois, la Région investit également dans la formation : dès la rentrée prochaine, un bac pro CIEL (Cybersécurité, Informatique et réseaux, ÉLectronique) ouvrira au lycée professionnel Jean-Guéhenno à Fougères.

Stéphane Cueille abonde : « Bien sûr, on s’appuiera sur notre usine de production existante de Gennevilliers et ses compétences expérimentées à la fois pour accompagner, pour venir former les gens, mais on enverra aussi les gens dans notre usine francilienne pour être formés. Du côté de la réparation, ce sera Châtellerault, car c’est là où se situe la maison mère de cette activité. »

Les recrutements se feront dès la sortie d’écoles (CAP, ABC pro, BTS, école d’ingénieurs, Master) comme auprès des demandeurs d’emploi et des personnes engagées dans des démarches de reconversion.

Il y aura de nombreuses opportunités en fonderie et dans les métiers de l’aéronautique tels que « l’inspection ou le contrôle ». Enfin, des postes de l’industrie seront à pourvoir aussi bien dans la maintenance, le pilotage des moyens automatisés et les systèmes numériques.

5-) Une usine à la pointe

Car, au-delà de l’investissement industriel, Safran ambitionne d’avoir une usine « qui soit vraiment au meilleur de l’automatisation et de la numérisation pour une très forte productivité », poursuit le patron de SAF. Il explique que ce site rennais s’inscrit dans la logique d’évolution de l’outil de production du groupe. « Ce qu’il y aura ici, on l’a par brique dans un certain nombre de sites. J’ai pour exemple en Belgique le site le plus récemment inauguré, pour faire des aubes de compresseurs, extrêmement automatisé et numérisé. On est dans cette filiation. »

Seulement, comme on part de zéro, on va pouvoir le faire sur cette nouvelle production avec, à la fois, des opérations de manipulation des pièces qui seront automatisées. Cette automatisation de certaines opérations manuelles est nécessaire parce que l’on aura des pièces fabriquées à forte cadence dans des procédés de fabrication qui sont parmi les plus compliqués dans l’aéronautique. Ce sera aussi le cas dans le contrôle des pièces avec l’utilisation de la numérisation et de l’intelligence artificielle afin d’offrir un haut niveau de qualité.

Stéphane Cueille
Président de SAF

5-) Le temps de la polémique est passé

Le 14 avril, plus d’un an après avoir annoncé que Rennes sera la ville dans laquelle Safran installera sa future usine, Olivier Andriès, le directeur général du géant français de l’aéronautique, était auditionné par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Il était revenu sur les moments qui ont suivi cette annonce et avait poussé un coup de gueule contre les villes avec une majorité écologiste : « Pour moi, il n’est plus question aujourd’hui d’investir en France dans une ville qui est détenue par une majorité écologiste. Ce n’est plus possible, je ne le ferais pas. »

On a été surpris dès l’annonce d’être critiqué par les écologistes, qui ont mis en cause la majorité municipale de Rennes. On avait négocié avec la maire socialiste de Rennes. Encore une fois, ça s’est très bien passé. Et là, les écologistes nous ont jeté des tomates sur le thème : « C’est scandaleux, un groupe vient s’installer et créer de l’emploi, c’est l’aéronautique, c’est l’avion, ils vont polluer, et puis c’est le militaire, c’est pas bien. » Donc, chaque fois que l’on aura un choix de localisation, je bannirai une offre faite par une ville détenue par une majorité écologiste.

Olivier Andriès
Directeur de Général de Safran

En effet, quelques jours après l’annonce, les élus écologistes, tenus à distance des discussions, avaient dénoncé cet accord : « Armés de vieux logiciels productivistes du passé, les socialistes rennais reprennent à leur compte le greenwashing de Safran. Pourtant, les moteurs produits sur ce site fonctionneront bien à l’énergie fossile. Les économies d’énergie attendues seront absorbées par la croissance mondiale du trafic aérien à laquelle il est irresponsable de contribuer. » Après la sortie tonitruante du DG de Safran, les écologistes ont refusé d’alimenter la polémique.

« On se sent bien accueilli »

Quelques mois après, en ce début juillet, personne ne souhaite plus remettre un sou dans la machine. Stéphane Cueille s’est simplement satisfait : « On se sent bien accueilli à Rennes. De notre côté, le sillon est tracé et profond. Je ne commenterai pas. »

De son côté, Nathalie Appéré répond : « Évidemment, l’aéronautique doit évoluer. Évidemment, on doit s’interroger sur nos pratiques de déplacement et notamment sur le fait que les voyages aujourd’hui en avion, quand il existe d’autres possibilités, sont polluants et on doit donc privilégier ces alternatives. »

Je suis très clairement favorable à la régulation plus forte des déplacements en avion. Pour autant, certains déplacements continuent de se faire par les airs et il y a, dans la production ici des aubes de turbines, des débouchés majeurs pour l’industrie de défense par ailleurs. Quand on est dans un moment de tensions géopolitiques aussi importantes, pouvoir produire souverainement en France des avions et des outils de défense, c’est aussi un enjeu de protection européen et national qui est très important.

Nathalie Appéré
Maire de Rennes et présidente de la Métropole

Avant de conclure : « Ainsi, on peut tout à la fois être favorable à la régulation du trafic aérien et accompagner un groupe comme Safran dans la décarbonation avec des aubes de turbines qui sont produites avec moins de carbone, mais aussi, une usine en elle-même qui, par son bâtiment, son implantation, la mutualisation des moyens de chauffage, de production d’énergie et de gestion commune de la ressource en eau va être beaucoup plus sobre. » Une forme de « en même temps » qui a le mérite d’être franche.

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