En 1921, les murs de Rennes se couvrent d‘ affiches vindicatives : « Les médecins font de la médecine sans rien y comprendre ! » Ces pamphlets sont signés de l’abbé Chaupitre, un Rennais qui comparaît pour exercice illégal de la médecine. Ce qui explique qu’il soit légèrement remonté vis-à-vis des blouses blanches… L’homme d’Église vend depuis des petits flacons dont la consommation, jure-t-il, guérit « au moins huit malades sur dix ». Les publicités vantent des médicaments « merveilleux » capables de soigner la tuberculose, la leucémie ou (qui peut le plus peut le moins) un banal rhume.
Jean-Marie-Victor Chaupitre naît le 22 octobre 1859 à Gennes (49). De 1876 à 1886, il fait partie de la congrégation des Frères de l’instruction chrétienne, qui possède une pharmacie à Ploërmel. La législation d’alors, très souple en ce qui concerne les médicaments, permet aux Frères de vendre différents élixirs et pastilles. Malgré la loi qui régit et protège la pratique des médecins, ces derniers cohabitent jusqu’à la fin du XIXe siècle avec de nombreux guérisseurs non réglementés (et rarement poursuivis), notamment des religieux.
Passion pour l’homéophathie
Ordonné prêtre en 1894, Chaupitre se prend de passion pour l’homéopathie. Il arrive à Rennes en 1908 et commence à vendre en pharmacie des préparations sous forme de petites bouteilles, « les gouttes de l’Abbé Chaupitre ». Deux ans plus tard, il est condamné pour exercice illégal suite à une plainte des syndicats des pharmaciens et des médecins d’Ille-et-Vilaine.
Ce qui n’empêche pas l’abbé de poursuivre ses œuvres auprès des affligés, en dépit de la justice qui le voit voler de procès en condamnation et d’amende en emprisonnement avec un enthousiasme intact. Ces déboires ne font que renforcer sa notoriété.
As du marketing
L’abbé est un as du marketing. En plus de ses bouteilles, il vend des almanachs bourrés de contes, de jeux, de recettes, de conseils pratiques… et bien sûr de publicités pour les bouteilles Chaupitre. Il reçoit de nombreux soutiens sous forme de manifestations et de pétitions en sa faveur. Tous ces médecins qui le critiquent ne seraient-ils pas des jaloux ?
Du moins, c’est ce que prétend Chaupitre : « Tout malade, affirme-t-il, qui a le malheur de tomber dans les mains d’un médecin (ne pratiquant pas l‘ homéopathie) se trouve dans la situation d’un condamné à mort enfermé dans une cage avec un rat qui le grignotera jusqu’à son dernier soupir. » Tous les praticiens ne sont pas vent debout contre Chaupitre. Le Dr Porteu, chirurgien rennais, est conquis par les discours de l’abbé. Il devient son disciple et un de ses successeurs désignés.
En 1928, Chaupitre évite la prison en s’enfuyant en Belgique. Mais il continue de produire ses préparations par l’intermédiaire d’une officine parisienne. Il meurt le 21 avril 1934 à Naples. La vente de ses « petites bouteilles » explose. 5 000 flacons sont fabriqués chaque jour, ornés d’un portrait de l’abbé devenu star mondiale. La marque Chaupitre perdurera d’ailleurs jusqu’à nos jours : elle a été rachetée en 2017 par les laboratoires Boiron.