Par

Théo Zuili

Publié le

27 juil. 2025 à 7h42

Le 20 juin dernier, une cérémonie d’hommage près de Lyon s’est tenue sur le trottoir, derrière les grilles closes de la nécropole nationale. Le rassemblement organisé au « Tata » de Chasselay (Rhône) par des collectifs de sans-papiers et de soutien aux migrants était venu de Paris pour honorer les tirailleurs sénégalais massacrés ici par l’armée allemande en 1940, tout en dénonçant les lois actuelles sur l’immigration.
Le ministère des Armées, contacté par actu Lyon, assume la décision : « Une manifestation politique ne peut avoir lieu dans une nécropole nationale. » Armelle Mabon, historienne spécialiste des tirailleurs aux prises avec l’État, dénonce une « nouvelle décision arbitraire » qui lui laisse croire à un « règne des mensonges » dans ce cimetière.

Une manifestation politique

Venus pour se recueillir et « montrer notre colère contre la loi d’immigration et les politiciens selon qui nous sommes le problème de la France alors que c’est archi-faux et qu’on sait la vérité (sic) », ces travailleurs en attente de papiers qui craignent de voir toutes les portes de la naturalisation se fermer prévoyaient de « manifester depuis la mairie de Chasselay jusqu’au tata pour rendre visible la solidarité face aux dégradations récentes et l’hommage aux tirailleurs ».

En mémoire des tirailleurs d’hier, massacrés par les nazis, en solidarité avec les tirailleurs d’aujourd’hui qui résistent contre le racisme au pouvoir, incarné par Retailleau et Darmanin et contre les fascistes du RN à Reconquête en passant par les néo-nazis qui ont marché à Paris le 10 mai dernier.

Marche des Solidarités

Fermée aux manifestants le 20 juin, la nécropole militaire de Chasselay, près de Lyon (Rhône) cristallise les tensions autour de la mémoire des tirailleurs africains.
Des membres de la délégation devant les portes closes de la nécropole, le 20 juin. (©Sébastien Majerowicz)

De nature éminemment politique, cette manifestation s’est vue interdire l’accès au Tata « en conformité avec la politique […] qui ne permet de manifestations politiques dans les nécropoles nationales ». Une décision polémique, perçue comme « une humiliation » pour ces Africains dont certains sont descendants de tirailleurs, qualifiée « d’incident diplomatique » par un député LFI.

Des versions qui s’opposent

« Les organisateurs n’ont jamais reçu de refus », rétorque Armelle Mabon. « Ils sont arrivés comme prévu, avec des gerbes, des prises de parole, et ils sont restés dehors. »

La préfète du Rhône affirme que les organisateurs avaient été informés en amont, mais aucun document ne vient, pour l’heure, étayer cette affirmation.

Le maire de Chasselay, Jacques Pariost, a accompagné ce défilé. Plutôt qu’une manifestation, il défendait sur place un « devoir de mémoire pour ceux qui se sont sacrifiés pour la France ». Lui-même s’est dit surpris en arrivant devant les grilles fermées, accusant la préfecture du Rhône et assurant sa solidarité avec les collectifs. Contacté, il n’a pas répondu à actu Lyon.

La décision de fermer le Tata de Chasselay ce jour-là émanerait de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) au titre du règlement général des nécropoles nationales, interdisant toute « manifestations de nature à nuire au recueillement ».

Ce cimetière situé à Chasselay (Rhône) près de Lyon et baptisé
Ce cimetière situé à Chasselay (Rhône) près de Lyon est baptisé « Tata sénégalais », signifiant « enceinte fortifiée » en wolof. (©Taguelmoust / Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0)

« L’ONaCVG n’est évidemment pas en charge du suivi de votre manifestation et n’a aucun avis à donner sur le sujet. Je suis toutefois heureux de constater que nous partageons le même souci quant à la nécessité de respecter ce lieu de mémoire et de préserver sa solennité », écrivait pourtant l’ONaCVG quelques jours plus tôt, selon des échanges que nous avons pu consulter.

Armelle Mabon soupçonne derrière l’absence de preuve d’une notification préalable une volonté de corriger une erreur en improvisant à postériori pour garder la face. Pour elle, ces portes fermées s’inscrivent dans un contexte plus large « d’instrumentalisation de la mémoire » dans la nécropole.

Des plaques erronées

Au cœur de cette accusation, deux plaques gravées de 25 noms. En 2022, le ministère des Armées avait inauguré au sein du Tata ces plaques commémoratives en hommage à 25 tirailleurs jusqu’alors « portés disparus ou non identifiés ».

Le communiqué officiel affirmait que ces soldats avaient été « identifiés grâce à des recherches génétiques ». Mais une enquête menée par l’historienne Armelle Mabon a révélé que ces recherches ADN n’ont jamais eu lieu, comme l’a reconnu le ministère des Armées dans une note judiciaire.

Seuls 7 des 25 soldats ont pu être effectivement liés, via des archives, à une inhumation certaine à Chasselay, et cinq autres y sont seulement « possibles » selon Armelle Mabon, qui dénonce des plaques « constituées sans fondement scientifique ».

Des noms gravés, mais sans preuve ?

Elle a obtenu gain de cause auprès du Tribunal administratif, qui a ordonné la transmission des documents attestant de ces inhumations. Si les documents sont cohérents avec les plaques, cela validerait que l’ajout de leurs noms repose sur une base fiable.

Mais le ministère n’a jamais fourni les pièces demandées, et l’affaire est aujourd’hui relancée en justice pour en obtenir l’exécution.

Une contradiction qui agace

Pour l’historienne, graver des noms sans preuve dans une nécropole sous prétexte d’un hommage national reviendrait à instrumentaliser la mémoire à des fins politiques. Une démarche d’autant plus problématique, dit-elle, que l’État invoque en parallèle le devoir de neutralité mémorielle pour interdire toute manifestation « à caractère politique » dans ce lieu.

« Tout ça est illégal. Et quelque chose me dit que rien de tout ça n’aurait été permis si ces soldats avaient été des français blancs », accuse Armelle Mabon. Pour l’historienne, c’est une manœuvre de communication. « On a instrumentalisé ces morts pour produire un récit qui flatte l’État, quitte à tordre la vérité. »

Elle parle de « profanation mémorielle » et dénonce un « règne des mensonges ». Loin de lâcher le morceau, l’historienne se dit optimiste : « Je crois encore que ces plaques puissent être corrigées. »

Impossible de dire, à ce stade, si cette contradiction est le simple fruit d’une maladresse institutionnelle ou d’une volonté délibérée.

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