Alors que le Royaume-Uni examine l’adoption du « Tobacco and Vapes Bill », un think tank américain – le Progressive Policy Institute (PPI) – a publiquement exprimé son opposition à la proposition d’interdiction générationnelle de vente de tabac. Présenté comme indépendant, le PPI entretient toutefois des liens étroits avec l’industrie du tabac, en particulier avec Philip Morris International[1]. Cette prise de position illustre une stratégie récurrente d’ingérence visant à influencer les politiques de santé publique à travers le recours à des tierces parties présentées comme indépendantes, lesquelles développement des arguments économiques ou commerciaux avec menaces de rétorsions.

Une campagne d’influence contre une mesure ambitieuse de santé publique

Le Tobacco and Vapes Bill, en cours d’examen au Parlement britannique, prévoit l’introduction d’une mesure inédite au Royaume-Uni voire dans le monde : l’interdiction de la vente de tabac à toute personne née à partir du 1er janvier 2009. Cette disposition dite d’« interdiction générationnelle » vise à créer, à long terme, une génération totalement non fumeuse. Elle s’inscrit dans la stratégie de santé publique annoncée par le gouvernement pour atteindre l’objectif d’un pays « smokefree » d’ici 2030, en poursuivant et accélérant la tendance de baisse du tabagisme, déjà amorcée.

Cette mesure ambitieuse a été saluée par de nombreuses organisations nationales et internationales œuvrant pour le contrôle du tabac, ainsi que par des institutions de santé publique. Elle s’appuie sur des preuves scientifiques solides démontrant que la réduction progressive de l’accès au tabac est l’un des moyens les plus efficaces pour prévenir l’entrée dans le tabagisme, notamment chez les jeunes. Cette mesure permet également de consolider les efforts de dénormalisation du tabac, engagés depuis plusieurs décennies au Royaume-Uni.

Alors que la mesure est soutenue massivement par la population britannique et que le Parlement débat de ce projet, le Progressive Policy Institute (PPI) a pris publiquement position contre cette interdiction à travers une lettre adressée au Secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie, Jonathan Reynolds[2]. Le document critique la mesure en avançant qu’elle serait inefficace, difficilement applicable, et risquerait de stimuler les marchés parallèles. Le PPI estime en outre que la disposition pourrait constituer un obstacle au commerce international et affaiblir les relations du Royaume-Uni avec ses partenaires économiques.

Une opposition construite sur des précédents controversés

Dans sa lettre, le PPI cite notamment l’exemple de la Prohibition aux États-Unis ou celui du Bhoutan pour critiquer les politiques d’interdiction. De tels parallèles sont régulièrement utilisés par les groupes industriels pour affaiblir les mesures de santé publique ambitieuses, en entretenant une confusion entre politiques de santé et restrictions liberticides.

Or, les évaluations scientifiques disponibles – notamment celles de la Nouvelle-Zélande – montrent que les interdictions générationnelles peuvent, si elles sont bien conçues et accompagnées de politiques de prévention solides, contribuer à une baisse durable du tabagisme. En invoquant des références historiques hors de contexte et qui n’ont rien à voir avec le dispositif juridique prévu, le PPI tente de décrédibiliser une mesure soutenue par de nombreux professionnels de santé publique, précisément en raison de son efficacité. La mesure s’inscrit dans le dispositif de contrôle du tabac avec non pas une interdiction de consommation mais une interdiction de vente, déjà en place pour les mineurs, qui se trouvera maintenue au-delà de la majorité de ceux-ci.

Un discours aligné sur les intérêts de Philip Morris International

Derrière un positionnement se voulant indépendant, le discours du PPI sur la politique antitabac britannique apparaît fortement aligné avec les intérêts commerciaux de Philip Morris International (PMI). En s’opposant à l’interdiction générationnelle du tabac au Royaume-Uni, le PPI mobilise des arguments traditionnellement portés par l’industrie du tabac, qu’il s’agisse des prétendues inefficacités des interdictions, des risques de développement de marchés illicites, ou encore des conséquences économiques et risques de rétorsions commerciales supposées d’une telle mesure.

Ces éléments de langage sont bien connus des acteurs du contrôle du tabac et sont régulièrement mobilisés par l’industrie du tabac et ses alliés. Tel avait été notamment le cas lors de l’adoption du paquet neutre par l’Australie ou encore la France menacées de devoir payer des milliards en dédommagement d’une prétendue « expropriation de marque ». Les menaces de rétorsion commerciales à l’encontre de la France avaient également été tout particulièrement pointées auprès des parlementaires en amont du vote de la mesure. Cette approche participe d’une stratégie classique visant à retarder ou affaiblir les politiques de santé publique les plus ambitieuses.

De même le think tank à l’instar des fabricants développe une politique alternative et défend l’approche dite de « réduction des risques » qui constitue le narratif essentiel de la stratégie marketing de cette industrie. Ce faisant, le PPI renforce la légitimité des produits promus par PMI comme alternatives à la cigarette, sans pour autant remettre en cause la dépendance nicotinique qu’ils entretiennent. Cette stratégie vise à contrer des politiques publiques qui menacent directement les intérêts des fabricants tout en apparaissant comme des acteurs responsables soucieux d’apporter des solutions aux problèmes qu’ils créent.

L’indépendance affichée du PPI dans ce débat est d’autant plus contestable qu’il figure parmi les bénéficiaires de financements directs de la part de PMI, comme le montrent les registres de transparence disponibles. Ce lien financier pose un problème majeur de crédibilité et de transparence, en particulier lorsqu’il s’agit d’intervenir publiquement sur des projets de loi affectant directement le cœur d’activité du financeur. En se présentant comme un acteur extérieur au secteur, le PPI permet à PMI de défendre ses positions sous couvert d’expertise tierce, semant la confusion et le doute parmi les décideurs.

Ce type d’ingérence indirecte, par le biais de structures intermédiaires, est largement documenté par les instances internationales, notamment l’Organisation mondiale de la santé, qui alerte depuis plusieurs années sur la multiplication de ces stratégies de contournement. L’article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) appelle précisément les États à se prémunir contre ce type d’influence, qu’elle soit directe ou dissimulée à l’instar de ces think-tanks.

La prise de position du PPI dans le débat britannique illustre, une fois encore, la capacité de l’industrie du tabac à mobiliser des relais d’opinion pour freiner les politiques de santé publique les plus audacieuses. Elle rappelle l’importance de garantir la transparence des interventions dans le processus législatif et de discerner les conflits d’intérêts systémiques qui sous-tendent certaines oppositions à des mesures fondées sur des données scientifiques solides.

©Génération Sans Tabac

AE

[1] Think tank fighting UK generational tobacco ban linked to PMI, Tabaknee, publié le 21 juillet 2025, consulté le jour-même

[2] Lindsay Mark Lewis, PPI Letter urges United Kingdom not to enact “Generation Ban” proposal in Tobacco and Vapes Bill, publié le 14 juillet 2025, consulté le 21 juillet 2025

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