L’arrivée d’Intel, annoncée en grande pompe en mars 2022, avait été perçue comme une promesse de renaissance industrielle pour le Land de Saxe-Anhalt, encore marqué par les stigmates de la réunification allemande. Le géant californien prévoyait d’y investir 30 milliards d’euros avec, à la clé, près de 3000 emplois directs, et jusqu’à 11000 avec les sous-traitants et start-ups environnants. Déroulant le tapis rouge, l’Etat fédéral avait garanti un soutien public de 9,9 milliards d’euros, soit 3,3 millions d’euros de subvention par emploi, un chiffre pourtant jugé excessif et politiquement risqué.
Pas une surprise
Si les dirigeants politiques ont fait part de leur déception après cette volte-face, il ne s’agit pour autant pas d’une surprise. Déjà, en septembre 2024, Intel avait annoncé un report de deux ans, interprété comme un premier signal d’alarme. « Si l’on regarde les derniers mois, la décision d’Intel n’est pas surprenante », a réagi Sven Schulze, ministre (CDU) de l’économie de Saxe-Anhalt. Selon lui, les difficultés économiques du groupe, ainsi que le retour de la politique «America First» de Donald Trump aux États-Unis, ont largement compromis la faisabilité d’un investissement stratégique en Europe.
Côté syndical, IG Metall a immédiatement réagi en appelant à «de nouvelles perspectives» pour le site de Magdebourg. «La décision d’Intel ne doit pas remettre en cause les ambitions industrielles de la Saxe-Anhalt, ni de l’Allemagne», a argumenté Thorsten Gröger, son directeur régional. Selon lui, les bases sont là : terrains disponibles, bonne connectivité en matière de transports, main-d’œuvre qualifiée…, qui sont autant d’atouts pour les futurs investisseurs.
Un avis partagé par Sven Schulze, pour qui un « effet Intel » a profité au Land en termes d’image et d’attractivité. Il fait référence à l’entreprise allemande de Dresde Ferroelectric Memory Company (FMC), qui a annoncé récemment son intention de construire une usine de puces mémoire à Sülzetal, près de Magdebourg. Une lettre d’intention avec le Land de Saxe-Anhalt devrait être signée prochainement. « C’est notre plan B », a assuré le ministre.
La réindustrialisation de la tech remise en question
À 200 kilomètres au sud, un autre projet avance, celui de l’usine du Taiwanais TSMC à Dresde, qui porte sur des technologies plus matures et plus anciennes que celles d’Intel, adaptées aux besoins de l’industrie automobile et manufacturière. Sa construction est aussi moins subventionnée, à hauteur de 5 milliards d’euros, soit moitié moins que celle d’Intel. Car le retrait de l’Américain relance le débat sur la stratégie allemande en matière de réindustrialisation technologique. Faut-il engager des sommes colossales d’argent public pour des acteurs étrangers en difficulté ? Ou plutôt miser sur les fleurons nationaux ? «Le gouvernement fédéral a désormais l’opportunité de repenser sa stratégie en matière de semi-conducteurs, pour soutenir les concepteurs nationaux d’infrastructures pour l’IA, ou miser davantage sur les marchés de demain comme l’informatique quantique», peut-on lire dans un éditorial du journal économique WirtschaftsWoche.
En début de semaine, 61 entreprises, en majorité allemande, ont promis d’investir au total 631 milliards d’euros directement dans le pays, afin de relancer la machine des investissements, y compris parmi les sous-traitants, et de redonner confiance dans le «Made in Germany». Parmi elles, quatre – Infineon, Nvidia, SAP et Siemens – sont directement actives dans l’électronique et l’intelligence artificielle. De quoi faire oublier l’échec d’Intel ?