« «Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. » (Matthieu 5 : 40) »
L’Union européenne a choisi le pire moment pour faire honneur à ses origines chrétiennes : l’accord sur les droits de douane avec les Etats-Unis ce dimanche. En apparence, Donald Trump sort grand vainqueur du deal : 15 % de droits de douane sur les produits européens, 0 % sur les produits américains, la garantie que les Vingt-Sept achèteront pour 750 milliards d’euros d’énergie made in USA, 600 milliards d’investissement européen aux Etats-Unis, et des promesses d’achats militaires. De son côté, Ursula von der Leyen repart avec pratiquement aucune contrepartie, mais a parlé d’un « bon accord », selon le verset de Saint Matthieu.
Une croyance biblique qui n’a pas convaincu d’autres observateurs européens, bien plus conscients du dégommage que le continent venait de subir. François Bayrou a parlé d’un « jour sombre » et d’une « soumission », tandis que son homologue hongrois a estimé que Trump « avait mangé » Von der Leyen « au petit-déjeuner ».
« L’Europe n’a pas les moyens d’une guerre commerciale »
Mais pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas riposté ? Pour l’économiste Marc Touati, c’est tout simplement qu’elle n’en a plus les moyens : « L’Europe est en excédent commercial et avait donc tout à perdre sur les droits de douane. Quant à taxer les produits américains, l’Union européenne n’est pas capable de produire leur alternative », notamment en terme technologique et électronique. « C’est un énorme aveu de faiblesse mais l’Europe ne peut plus encaisser – ni donc s’engager – dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis. »
C’est particulièrement le cas pour certains pays comme l’Allemagne. Elle était « tellement tétanisée » par des droits de douane à 30 % (la menace brandie par Donald Trump) « qu’elle était prête à tout céder pour éviter le scénario du pire », poursuit Véronique Riches-Flores, spécialiste en prospective économique et financière internationale.
« Un triomphe de la peur »
Même effroi chez les Nations d’Europe de l’Est, ajoute Sébastien Platon, directeur du Master de droit européen à l’université de Bordeaux. Certes, les ex-membres du bloc soviétique sont moins dépendants économiquement des Etats-Unis, « mais ils ne souhaitent pas donner à Trump une nouvelle excuse pour se désengager militairement – même si rien ne dit qu’il ne le fera pas quand même. C’est un triomphe de la peur et de la fragmentation. »
Ces craintes individuelles montrent un deuxième écueil qui a déjà tant plombé l’Union européenne par le passé : ses divisions en interne. Un marché unique de 450 millions de consommateurs, certes, mais surtout 27 pays avec chacun des objectifs propres. Véronique Riches-Flores récite une mélodie bien connue : « Il y a tellement de distensions européennes qu’il est très difficile de se mettre d’accord et d’avoir des réponses à la hauteur. Chaque pays tire la couverture à lui en mettant l’Europe et l’action commune derrière. Il y a une perte complète de force de frappe »
Et si l’Europe avait joué finement ?
Alors voilà, tout est fini, on est des branques ? Un peu d’espoir tout de même : la passivité de l’Europe n’est peut-être qu’un piège finement tissé. Factuellement, une bonne partie de l’accord ne repose effectivement sur pas grand-chose de tangible. « L’Union européenne achètera 750 milliards d’énergies », « Elle achètera des équipements militaires américains », « Elle investira davantage aux États-Unis » … C’est bien gentil, mais comme le rappelle Sébastien Platon, la Commission européenne n’a pas le pouvoir de s’engager sur tout cela : « Ce sont les États membres qui décident de leur mix énergétique et où ils achètent leurs équipements militaires. Et ce sont les investisseurs qui décident où ils investissent. » En conclusion, pour le professeur : « L’Union européenne pourrait avoir obtenu un apaisement sur la base de promesses vides. »
Eloge de la patience chez Sylvie Mattely, directrice de l’Institut Jacques Delors et experte en questions internationales : « Cet accord, ce n’est qu’une première étape où l’on a l’impression que l’Europe a cédé sur tout, mais attendons un peu… Tout est encore négociable ; on peut étendre la liste des exceptions douanières, comme cela a été fait pour l’aéronautique et les spiritueux. On laisse Donald Trump être content sur la forme et on négocie les détails dont il n’a cure ».
La spécialiste rappelle le cas des vaccins contre le Covid, épisode au cours duquel l’UE avait déjà été décriée avant de montrer sa puissance. « Lorsque les Britanniques ont eu les vaccins en premier et que les Vingt-Sept attendaient leurs premières doses, les mêmes poncifs ont été entendus sur une Union trop lente, trop faible et trop divisée… Mais très vite, la Grande-Bretagne demandait à l’Europe, bien mieux équipée, de lui fournir des vaccins ». Proverbe non biblique, mais Ursula von der Leyen ne sera pas contre l’idée : c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens.