Très populaires chez les lectrices, ces romans érotiques relatent des relations sulfureuses, voire toxiques, où les jeunes héroïnes subissent souvent des violences. La Calédonie n’échappe pas au phénomène.
Coralie Cochin et Coline Mercier (stagiaire)
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Publié le 29 juillet 2025 à 07h00
Dans cette librairie papeterie du Quartier-Latin à Nouméa, un rayon entier est consacré à la « romance », des romans d’amour contemporains qui bousculent les codes des livres qu’on disait autrefois « à l’eau de rose ». « On a tout regroupé récemment. Ça commence ici jusqu’à la tête de gondole. Cinq mètres de linéaire au total ! », décrit Sonia, responsable du pôle livres.
Véritable phénomène littéraire, très relayé sur les réseaux sociaux, ce genre s’est principalement développé après la sortie de Cinquante nuances de Grey, adapté au cinéma. « En Nouvelle-Calédonie, ça marche vraiment bien depuis quatre ou cinq ans », observe Sonia.
La période du Covid, avec ses multiples confinements, puis les émeutes de mai 2024, ont favorisé le retour à la lecture, selon la libraire. « Il fallait bien occuper les enfants, les parents… Beaucoup se sont remis à lire. Certains faisaient même du stock pour tenir pendant cette période. »
Et l’engouement, visiblement, ne s’est pas essoufflé depuis. « Cela a vraiment permis aux jeunes de renouer avec l’amour de la lecture : chez les jeunes filles en particulier, mais aussi chez de jeunes garçons, qui s’intéressent à ce type de romans. »
C’est un peu comme dans les films interdits aux moins de 12 ans ou 16 ans. On fait la même chose, sauf que ce n’est pas interdit au public, c’est déconseillé.
Parmi cette profusion de titres, un sous-genre de la « romance » tire son épingle du jeu : la « dark romance ». Dans ces romans très sombres et très « hot », le schéma est souvent le même. Les deux personnages se détestent, l’homme maltraite la jeune fille, qui tombe quand même amoureuse de lui.
Pour prévenir les lectrices et leurs parents, le magasin a donc collé de petites étiquettes, avec des catégories spécifiques. « Ici, on met un très gros avertissement pour les moins de 18 ans, parce qu’il y a des choses très explicites, avec des termes et des scènes crues. On le fait pour les livres avec des scènes de violence, de viol et de maltraitance, explique Sonia. C’est un peu comme dans les films interdits aux moins de 12 ans ou 16 ans. On fait la même chose, sauf que ce n’est pas interdit au public, c’est déconseillé. »
Lire ces ouvrages, c’est un peu comme regarder de la pornographie. Ça nous donne de fausses représentations.
Audrey de Crescenzo, éducatrice en santé affective, relationnelle et sexuelle
Élève au lycée Lapérouse, Sarah* est adepte de « dark romance ». Ce qui lui plaît avant tout dans ce style littéraire, ce sont « les histoires ». « Elles sont intéressantes et elles sont longues. » Que pense-t-elle des scènes de violence, de maltraitance ? « En vrai, ça va, nuance la jeune fille, qui estime savoir distinguer la réalité de la fiction. Mais il y a beaucoup de choses que je n’aime pas non plus. »
Pour Audrey de Crescenzo, éducatrice en santé affective, relationnelle et sexuelle à l’association Prismes, ces romans sont problématiques, car ils donnent une image faussée de l’amour et de la sexualité. « À la puberté, on est en train de construire ses représentations par rapport à l’amour, à la sexualité aussi. Lire ces ouvrages, c’est un peu comme regarder de la pornographie. Ça nous donne de fausses représentations. »
Elles vont avoir tendance à accepter plus facilement des situations d’abus, de relations toxiques, de violences…
Audrey de Crescenzo, éducatrice en santé affective, relationnelle et sexuelle
L’éducatrice, qui intervient en milieu scolaire, redoute l’influence que pourraient avoir ces histoires sur les jeunes filles, au moment de débuter une relation amoureuse. « Elles vont avoir tendance à accepter plus facilement des situations d’abus, de relations toxiques, de violences… »
Mais tout interdire n’est pas la solution, non plus. Les ados pourraient se braquer et continuer de lire en cachette. L’éducatrice, au contraire, conseille de « dialoguer avec les jeunes pour développer leur esprit critique et les aider à comprendre ce qu’est le consentement ».
(*) Le prénom a été modifié.
PRATIQUE : Si vous avez besoin de conseils, que vous soyez adolescents ou adultes, vous pouvez contacter SOS écoute au 05 30 30 et l’association Prismes au 24 15 17 ou sur messenger.