Un véritable problème de santé publique, qui s’ajoute aux nombreux dangers liés à la pollution atmosphérique. D’après un groupe de scientifiques de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), il existe un lien direct entre l’exposition à un air pollué et le développement de pathologies de type démence.

Publiée en intégralité sur The Lancet Planetary Health, l’étude en question a fait l’objet d’un article de vulgarisation sur le site de la célèbre université britannique. Ses auteurs y exposent leur méthode et présentent les résultats obtenus, pour le moins alarmants.

Les cas de démence pourraient tripler à l’échelle mondiale d’ici 2050

Comme le rappellent les chercheurs en introduction, plus de 57,4 millions de personnes dans le monde souffrent actuellement d’une forme de démence et le nombre de malades pourrait fortement augmenter dans les années à venir.

D’après une projection publiée en 2022 par The Lancet, dans le cadre d’une étude plus générale sur la Charge mondiale de morbidité des maladies réalisée sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le nombre de personnes atteintes de démence pourrait tripler d’ici 2025, pour atteindre 152,8 millions de cas à travers le monde.

Une méta-analyse compilant les données de 29 millions de patients

Pour montrer que l’exposition prolongée à la pollution atmosphérique constitue un facteur aggravant de cette inquiétante tendance, les chercheurs de l’unité d’épidémiologie du Medical Research Council (MRC) de l’Université de Cambridge ont réalisé une méta-analyse de différentes études menées sur le sujet.

Les scientifiques ont ainsi compilé les données provenant de 51 recherches différentes, portant sur 29 millions de personnes au total. Comme le précisent les auteurs de l’étude, la majorité de ces études ont été réalisées dans des pays à revenu élevé, principalement en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.

Particules fines, dioxyde d’azote et suie

Les chercheurs se sont notamment intéressés à trois types de pollution atmosphérique : les particules fines (d’un diamètre de 2,5 microns ou moins) provenant des émissions des véhicules, des centrales électriques et des poêles et cheminées à bois ; le dioxyde d’azote émis par la combustion de combustibles fossiles ; et la suie provenant des échappements des véhicules et de la combustion du bois.

À l’origine de nombreux problèmes de santé, notamment des maladies cardiaques et respiratoires, ces polluants ont aussi pour effet de détraquer notre cerveau et de favoriser le développement de différentes formes de démence, d’après les résultats de l’étude.

Une augmentation du risque relatif dans tous les cas

Pour chacun des trois types de pollution observés par les chercheurs, ces derniers ont ainsi « constaté une association positive et statistiquement significative » avec le nombre de cas de démence. En d’autres termes, plus une personne est exposée à un air pollué au quotidien, plus elle a de chances d’être atteinte de démence.

Plus précisément, d’après les calculs des chercheurs, pour chaque 10 microgrammes par mètre cube de particules fines présentes dans l’atmosphère, le risque relatif de démence augmente de 17%. La même proportion de dioxyde d’azote génère une augmentation de 3% du risque de développer une forme de démence. Dans le cas de la suie, cette hausse du risque relatif a été mesurée à 13%.

Si le lien de causalité entre pollution atmosphérique et démence semble difficilement contestable avec de tels rapports, les chercheurs n’ont pas encore identifié avec certitude les mécanismes qui font de ces différents polluants des facteurs aggravants.

L’hypothèse principale à ce stade des recherches est que les particules fines, le dioxyde d’azote et la suie ont tendance à augmenter l’inflammation cérébrale et le stress oxydatif, des processus chimiques directement responsables de la démence, soit « par une pénétration directe dans le cerveau », soit par « la circulation sanguine à partir des poumons ».

Une preuve supplémentaire du lien entre pollution de l’air et démence

« Les données épidémiologiques jouent un rôle crucial pour déterminer si la pollution atmosphérique augmente le risque de démence et dans quelle mesure, a commenté l’auteure principale de l’étude, la Dre Haneen Khreis. Nos travaux apportent des preuves supplémentaires à l’appui de l’observation selon laquelle une exposition prolongée à la pollution de l’air extérieur est un facteur de risque d’apparition de démence chez des adultes auparavant en bonne santé. »

« Cette étude rigoureuse s’ajoute aux preuves de plus en plus nombreuses selon lesquelles l’exposition à la pollution de l’air – des gaz d’échappement des véhicules aux poêles à bois – augmente le risque de développer une démence », abonde dans les colonnes de The Guardian la Dre Isolde Radford, qui n’a pas participé à la recherche.

« Ce n’est pas un problème que les individus peuvent résoudre seuls »

Selon cette responsable de la fondation Alzheimer’s Research UK, les résultats obtenus par les chercheurs de Cambridge doivent pousser les autorités à agir, partout dans le monde. « La pollution atmosphérique est l’un des principaux facteurs de risque modifiables de démence, mais ce n’est pas un problème que les individus peuvent résoudre seuls, explique Isolde Radford. C’est là que l’engagement des pouvoirs publics est crucial. »

« Lutter contre la pollution atmosphérique peut avoir des effets bénéfiques à long terme sur la santé, la société, le climat et l’économie, confirme la Dre Haneen Khreis. Cela peut alléger le fardeau considérable qui pèse sur les patients, les familles et les soignants, tout en allégeant la pression sur les systèmes de santé déjà surchargés. »

Des « limites plus strictes » seront nécessaires pour protéger les populations

Co-auteure de l’étude, Clare Rogowski estime que pour améliorer durablement la qualité de l’air, « des limites plus strictes pour plusieurs polluants seront probablement nécessaires, ciblant les principaux contributeurs tels que les secteurs des transports et de l’industrie ».

« Compte tenu de l’ampleur de la pollution atmosphérique, il est urgent de mettre en place des politiques régionales, nationales et internationales pour lutter équitablement contre cette pollution », affirme l’épidémiologiste, bien consciente de l’ampleur du chantier.

Pour une approche inter-disciplinaire de la prévention de la démence

Rappelant que leur méta-analyse rassemble essentiellement des données provenant de personnes « blanches vivant dans des pays à revenu élevé », les auteurs de l’étude appellent à des travaux futurs sur le même sujet, prenant davantage en compte la population mondiale dans sa diversité d’origines et d’espaces de vie.

Selon le Dr Christiaan Bredell, autre co-auteur de l’étude, les résultats obtenus soulignent en tout cas « la nécessité d’une approche interdisciplinaire de la prévention de la démence ». « La prévention de la démence ne relève pas uniquement de la responsabilité des soins de santé, poursuit le chercheur. Cette étude renforce l’idée que l’urbanisme, la politique des transports et la réglementation environnementale ont tous un rôle important à jouer. »