Depuis des décennies, les
astronomes savent que la Voie lactée n’est pas seule dans l’espace.
Autour de notre galaxie gravitent déjà une soixantaine de petites
galaxies satellites, des objets compacts et faiblement lumineux,
souvent qualifiés de galaxies naines. Pourtant, si l’on en croit
une nouvelle étude menée par des
cosmologistes de l’Université de Durham, il en existerait bien
davantage, peut-être plus d’une centaine, qui demeurent encore
invisibles à nos instruments.
Ces galaxies manquantes ne sont
pas simplement une curiosité pour les astronomes : leur existence
potentielle vient alimenter un débat fondamental en cosmologie.
Elle pourrait permettre de conforter, ou de remettre en question,
le modèle dominant qui décrit la structure de l’Univers et la
formation des galaxies, connu sous le nom de modèle
Lambda-CDM(matière noire froide lambda).
Le mystère des galaxies
satellites disparues
Le modèle Lambda-CDM prédit
que toutes les galaxies, grandes ou petites, se forment au sein de
gigantesques bulles invisibles appelées halos de matière noire.
Cette matière noire, bien qu’inobservable directement,
constituerait environ 85 % de la matière de l’Univers. Elle ne
reflète ni n’émet de lumière, mais son existence est déduite de ses
effets gravitationnels sur les galaxies, les amas d’étoiles et la
lumière elle-même.
Autour de la Voie lactée, ce
halo de matière noire agit comme un filet gravitationnel, capturant
au fil des âges d’innombrables galaxies naines. Pourtant, à l’heure
actuelle, seuls quelques dizaines de ces satellites ont été
identifiés. Selon les simulations du modèle Lambda-CDM, il devrait
y en avoir beaucoup plus. Cette incohérence est connue des
astrophysiciens sous le nom de problème des satellites
manquants.
Est-ce un défaut du modèle, ou
un simple biais d’observation ? C’est précisément cette question
qu’ont voulu explorer les chercheurs de Durham.
Une plongée dans le halo
galactique avec des supercalculateurs
Pour tenter d’y voir plus
clair, les scientifiques se sont appuyés sur l’une des simulations
les plus précises et détaillées jamais réalisées : la simulation
Aquarius. Ce modèle informatique reproduit avec une extrême finesse
la répartition de la matière noire dans un halo galactique
semblable à celui de la Voie lactée.
Ils y ont intégré le code
GALFORM, un outil de modélisation qui simule la formation des
galaxies en suivant des paramètres essentiels tels que le
refroidissement du gaz, l’apparition des premières étoiles ou
encore l’agrégation progressive de matière.
Grâce à cette approche, ils
ont pu reconstruire l’histoire mouvementée des galaxies satellites
potentielles. Leurs résultats sont sans appel : il existerait bel
et bien entre 80 et plus de 100 galaxies naines supplémentaires en
orbite autour de notre Voie lactée. Si elles échappent à nos
télescopes aujourd’hui, ce n’est pas qu’elles n’existent pas, mais
plutôt qu’elles sont devenues presque invisibles au fil du
temps.
La Voie lactée entourée de ses galaxies satellites, selon la
simulation Acquarius-A-L1. Crédit image : Simulation Aquarius,
Consortium Virgo/Dr Mark Lovell.Ces galaxies qui se
dissolvent lentement
Au cours de milliards
d’années, ces petites galaxies naines ont traversé à de multiples
reprises le halo gravitationnel de la Voie lactée. À chaque
passage, elles ont perdu une partie de leur matière, arrachée par
les forces gravitationnelles de notre galaxie. Petit à petit, leur
contenu en étoiles s’est amenuisé, tout comme leur halo de matière
noire. Certaines ont été presque entièrement absorbées, d’autres
subsistent à peine, réduites à des îlots d’étoiles à la limite de
la détection.
C’est précisément cette
extrême faiblesse lumineuse qui rend leur observation si difficile.
Les instruments actuels peinent à repérer ces galaxies
fantomatiques, disséminées dans l’immensité de notre halo
galactique.
Le futur des observations :
lever le voile sur l’invisible
Mais cette situation pourrait
changer très prochainement grâce aux progrès technologiques.
L’observatoire Vera Rubin, équipé de la plus grande caméra numérique
jamais construite pour l’astronomie, pourrait bien lever le voile
sur ces satellites cachés. Grâce à ses capacités exceptionnelles à
repérer des objets faiblement lumineux, il devrait être en mesure
de confirmer ou d’infirmer ces prédictions.
Pour les cosmologistes,
l’enjeu est considérable. Une telle découverte viendrait valider le
modèle Lambda-CDM et renforcer la confiance des scientifiques dans
leur compréhension des grandes structures de l’Univers. Comme le
souligne Carlos Frenk, co-auteur de l’étude, cette confirmation
serait « un succès remarquable pour la théorie » et montrerait « à
quel point les mathématiques, la physique et la puissance des
superordinateurs peuvent prédire des phénomènes encore invisibles
».
Un rappel des limites
actuelles de notre regard sur l’Univers
Au fond, cette recherche
souligne une réalité souvent oubliée : notre vision de l’Univers
est encore très partielle. Ce que nous observons aujourd’hui n’est
qu’une infime fraction de ce qui existe réellement. Dans les
prochaines années, de nouvelles découvertes viendront certainement
compléter ce tableau.
Car si ces galaxies satellites cachées
existent bel et bien, elles ne sont pas simplement des points de
lumière en plus sur nos cartes du ciel. Elles sont des témoins
précieux de l’histoire tumultueuse de notre galaxie, et des clés
essentielles pour mieux comprendre l’architecture invisible qui
façonne l’Univers.