Le média indépendant Important Stories a recensé plus de 50 plaintes de proches de soldats portés disparus mais officiellement déclarés déserteurs. Dans un cas sur cinq, les familles affirment pourtant connaître les circonstances exactes de leur mort, grâce aux témoignages de leurs camarades.
La guerre des chiffres. Pour dissimuler l’ampleur des pertes sur le champ de bataille, les commandants d’au moins 25 unités de l’armée russe auraient classé des soldats portés disparus comme déserteurs, révèle une enquête du média indépendant Important Stories, publiée ce lundi 28 juillet. Une pratique qui permet non seulement de minimiser les bilans officiels, mais aussi d’éviter le versement d’indemnités aux familles des soldats disparus.
D’après Géo, dans le cas d’un soldat de 35 ans ayant combattu un an et mort sur le champ de bataille, cette indemnisation pourrait s’élever à environ 14,5 millions de roubles, soit 150 000 dollars.
Le média russe affirme avoir reçu plus de 50 plaintes de proches de militaires disparus, adressées aux autorités. L’enquête révèle des falsifications similaires dans au moins 25 unités réparties sur 11 régions du pays. Dans la majorité des cas, les documents officiels mentionnent que les soldats se sont volatilisés lors de missions de combat.
Alexandre, mort dans un bombardement, déclaré déserteur
Parmi les cas cités, celui d’Ekaterina, dont le mari Alexandre, 38 ans, aurait signé un contrat militaire alors qu’il purgeait une peine de prison. Il aurait disparu en février 2024 dans la région de Donetsk, après être parti au front. Selon ses compagnons d’armes, Alexandre aurait été tué dans un bombardement, mais les autorités militaires l’ont déclaré déserteur.
Sur l’ensemble des 50 plaintes recensées par le média russe, les proches affirment dans un cas sur cinq connaître les circonstances de la mort du soldat grâce aux récits de ses camarades.
En principe, un commandant ne peut qualifier un soldat de déserteur sans preuve tangible. Mais selon l’enquête, il suffirait d’une absence à un appel pour justifier cette mention. Des pressions auraient également été exercées sur certains témoins afin qu’ils soutiennent la version officielle.
« Le refus de verser des compensations n’est pas une politique officielle de l’État »
Pour les familles de soldats disparus, ces falsifications seraient motivées par une volonté de l’État russe de réduire les dépenses liées aux indemnisations. Mais cette hypothèse est nuancée par Sergueï Krivenko, directeur de Citizen Army Law, une organisation de défense des droits humains spécialisée dans les questions militaires. Selon lui, « de telles directives ne peuvent pas venir d’en haut. Le refus de verser des compensations n’est pas une politique officielle de l’État. » Il rappelle que la législation actuelle prévoit des procédures judiciaires permettant aux familles d’obtenir la reconnaissance du décès même en l’absence de corps, ce qui ouvre droit à des compensations financières.
Selon lui, la reconnaissance officielle d’un soldat comme décédé ou porté disparu sans preuve formelle s’avère extrêmement complexe en raison d’une lourdeur administrative importante. Ce processus implique de nombreux niveaux de validation et requiert des preuves concrètes, telles que la récupération d’un corps ou des témoignages formels, souvent difficiles à obtenir en zone de conflit.
Par ailleurs, les commandants sont confrontés à un dilemme disciplinaire : déclarer un nombre trop important de soldats comme « ayant quitté leur unité sans autorisation » peut être interprété comme une faute de commandement, entraînant des sanctions pour négligence ou faiblesse dans le maintien de la discipline.
Entre janvier et juin 2025, les tribunaux militaires ont enregistré plus de 26 000 requêtes pour faire reconnaître la disparition ou le décès de soldats, selon Mediazona. Ce chiffre dépasse déjà le total de l’année 2024, qui comptabilisait 22 600 demandes similaires.