Deux ans après son passage manqué en Grand Prix, Lorenzo Fellon tente de se reconstruire en championnat d’Europe Moto2. Nous l’avons rencontré lors de la manche française à Magny-cours.
Lorenzo, après trois saisons en Moto3, tu essayes de rebondir aujourd’hui en Moto2 Europe. Pour parler d’entrée de jeu des sujets qui fâchent, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour toi en Grand Prix ?
J’ai tourné la page du Moto3, car c’est vrai, cela n’a pas trop fonctionné pour moi. Et je pense que cela est dû à un ensemble de circonstances. Premièrement, je suis arrivé trop tôt à mon goût, trop jeune, sans avoir assez d’expérience. Je pense que j’aurais dû faire une deuxième année ici, en JuniorGP Moto3, pour pouvoir prendre de la confiance. Essayer d’avoir le titre ici pour arriver en championnat du monde Moto3 avec plus de confiance et plus d’expérience. Après, si on regarde la progression que j’ai eue, même la première année, il y a eu des choses intéressantes. De partir dernier au Qatar et à la sixième course en Allemagne, partir sixième sur la grille… En quelques mois, c’est une énorme progression. J’y suis allé crescendo. Après, la deuxième saison chez Simoncelli a été un peu mieux, parce que là, j’ai commencé à être plus souvent dans les points. En qualif, j’ai fait troisième, quatrième, donc j’étais un peu plus devant.
Et puis tu as choisi d’aller au CIP…
J’ai pris la décision mi-saison 2022 de partir au CIP, sur la KTM, parce que j’avais vu que les KTM avaient fait un gros step par rapport à Honda. Il se disait que Honda voulait se concentrer sur le projet MotoGP, donc ils n’allaient pas amener une nouvelle moto en Moto3. Je me suis dit, pourquoi pas déjà essayer de chercher une KTM pour ma troisième saison en Moto3, pour essayer de concrétiser. Et puis j’ai eu des difficultés personnelles. J’ai perdu mon père dans l’hiver 2022-2023, donc ça n’a pas été facile. Ensuite, début 2023, je me suis blessé. J’ai loupé huit courses de la saison et je suis revenu au mois d’août. Reprendre le rythme quand les autres ont déjà une demi-saison dans les pattes, c’est compliqué. Je pense que c’était un petit concours de circonstances mis ensemble, et au final, ça n’a pas fonctionné. Maintenant, j’ai tourné la page. J’essaie de me concentrer sur le Moto2. J’ai déjà fait une saison l’an dernier, ça n’a pas été facile non plus, parce que à la mi-saison, je me suis re-blessé en entraînement sur la même épaule. J’ai été opéré l’hiver dernier, donc c’est vrai que je n’ai pas roulé tout l’hiver. Mais là, petit à petit, je commence à sortir un peu la tête de l’eau, comme on dit. Un gros travail mental aussi pour essayer de rester positif et continuer à travailler.
Quel conseil tu donnerais aux Français qui arriveront peut-être bientôt en Moto3 ?
Je dirais de prendre le maximum d’expérience avant de monter en mondial, même s’il y a toujours l’envie, c’est un rêve d’arriver en championnat du monde. Mais je pense que le plus important, c’est d’arriver prêt. Parce que tu peux toujours apprendre sur le tas, mais la partie mentale prend quand même un gros coup, la confiance en soi. Pour chaque compétiteur, de passer de jouer aux avant-postes à arriver dernier aux premières courses, tu perds quand même confiance en toi. Et ça, c’est difficile à reprendre. Je pense que prendre le maximum de confiance en soi, arriver prêt et sûr de soi-même, ça serait la première chose. Ensuite, prendre le temps de prendre des décisions. Même s’il y a une opportunité qui s’ouvre, il faut y penser, parler avec son entourage, avoir un bon entourage qui te conseille bien. Ce serait mes conseils.
Comment s’est passé ton adaptation au Moto2 ?
C’est vrai que le premier test que j’ai fait sur la Moto2, je me suis senti super bien. J’ai fait des super chronos, ça m’a vraiment donné un bon boost de moral. Je me suis dit qu’on peut faire quelque chose de bien. Et après, j’ai eu une première grosse chute à la première course à Misano. J’ai remis du temps à reprendre confiance sur le train avant. Comme c’est une moto assez rigide, il faut quand même avoir une bonne sensation et il faut avoir un pilotage assez agressif. Il faut vraiment que ce soit le pilote qui mène la moto dans les virages. C’est une moto qui a un châssis très rigide et qui n’absorbe rien. Chaque petit défaut de la piste ou chaque vibreur, tu le ressens. Il faut s’adapter à ça. Aussi physiquement, j’ai eu pas mal de soucis. Je suis assez petit et j’ai un physique de Moto3 assez sec. J’ai même des kilos de lest sur la moto. J’ai toujours un peu de mal dans les changements d’angle à être assez vif et rapide.
Au final, ta première saison n’a pas été facile…
C’est vrai que l’an dernier, il y a eu des hauts et des bas. Ça a été une saison assez compliquée aussi parce que je m’attendais à beaucoup plus honnêtement. Mais avec la blessure en mi-saison à l’entraînement, deuxième opération de la même épaule, ça n’a pas été facile. Maintenant, j’essaie d’y aller en crescendo et ça a l’air d’aller mieux en tout cas en termes de sensation. Je sens que j’ai fait un step. À Jerez, j’ai roulé deux secondes plus vite que l’an dernier. Je me suis qualifié direct en Q2. J’ai fait dixième en Practice le matin, sauf qu’on m’a disqualifié pour une pièce qui n’était pas dans les normes. Mais en tout cas, en termes de chrono et de sensation sur la moto, je sens que j’ai vraiment fait un step par rapport à l’année dernière.
Tu es moins en vue qu’à l’époque où tu étais le seul Français en GP en Moto3, tu ressens moins de pression, c’est plus facile à vivre ?
Bien sûr. J’ai commencé à travailler avec une psychologue cette année et c’est une chose que nous avons évoqué. J’ai besoin d’un peu de temps pour essayer de passer à autre chose, d’enlever un peu tout le négatif de ce qui s’est passé dans ma vie ces dernières années, que ce soit personnel ou professionnel. C’est vrai que, au début, j’ai été un peu blessé dans mon orgueil en me disant « les gens m’ont oublié ou peut-être qu’ils ne croient plus en moi ». Finalement, avec un peu de recul et en travaillant avec ma psychologue, on s’est dit que peut-être c’est ce qu’il me faut. Il faut s’en servir. Au moins, j’ai moins de pression sur mes épaules et je peux travailler plus librement, un peu plus dans l’ombre pour essayer d’avancer comme ça et d’être le plus vite possible aux avant-postes pour essayer de retourner en championnat du monde.
C’est ton objectif aujourd’hui, suivre la trajectoire d’un Fermin Aldeguer et revenir en mondial par le Moto2 ?
Oui, ça serait le but ultime. C’est vrai que cette année, le niveau en Moto2 a vraiment augmenté. Il y a des pilotes comme moi qui sont passés du Moto3 à ici. Il y a aussi des pilotes qui ont pas mal de saisons en Moto2 ici qui essaient de concrétiser. Franchement, cette année, ce n’est pas simple. Les années précédentes, Aldeger et Alonso Lopez avaient fait un bon boulot, mais tu voyais les résultats et les classements. Il y avait les deux premiers et ensuite, il y avait un gros écart. Maintenant, on est le top 17, 18. On est tous presque dans la même seconde. Franchement, c’est un beau challenge. Après, c’est vrai que cette année, économiquement, ce n’est pas facile. Je remercie mon équipe parce qu’ils m’aident beaucoup. Ils font tout ce qu’ils peuvent avec leurs moyens aussi. Mais bon, entre les Boscoscuro, par exemple, du team Ciatti qui ont les motos du Mondial de l’an dernier, et nous qui avons une Kalex d’il y a trois ou quatre ans, ce n’est pas facile. Mais bon, je ne veux pas y penser. Je veux rester concentré dans mon pilotage. Je sais que mon atout, c’est que j’ai quand même fait du Mondial, donc il faut que j’amène cette expérience et qu’il faut que j’utilise cette expérience.
Ton objectif de cette année, c’est de se rapprocher du top 5 d’ici la fin de l’année ?
Je pense, oui. Le but, c’est, avant la fin de la saison, être dans le top 5 ou pourquoi pas faire un podium. Pour au moins avoir la chance de peut-être remplacer un pilote blessé en Mondial du Moto2 en fin de saison, dans les dernières courses, pour prouver un peu ce que je vaux. Et pour me montrer à moi-même aussi, voir si je suis encore capable à un tel niveau, si je peux réussir à retourner là-bas.
Ce week-end à Magny-Cours, tu as un casque hommage à ton père. C’est aussi pour lui que tu continues de rouler aujourd’hui. C’était son rêve de te voir rouler en Grand Prix au plus haut niveau ?
Oui, je pense que c’était son rêve. Après, c’est aussi mon rêve de petit. Il ne m’a jamais poussé, il ne m’a jamais forcé à faire quoi que ce soit. J’ai toujours été demandeur. Je pense que je le fais aussi pour lui, parce que c’était aussi sa passion. Il a sacrifié toute sa vie pour être dans ce milieu-là, et il a donné beaucoup à ce milieu-là et aux personnes qu’il a aidé, à moi et à d’autres pilotes aussi. Je le fais aussi pour moi, mais c’est sûr qu’il reste dans un coin de ma tête, et ça me donne une motivation en plus, quand j’ai des moments difficiles ou quand j’en ai besoin.
Est-ce difficile aujourd’hui pour un Français de trouver les moyens de rouler ?
J’ai toujours eu la chance, dans le passé, d’avoir mon papa qui m’aidait dans ce milieu-là, comme il l’avait fait pour Johann (Zarco) les années précédentes. Il avait cette expérience, il savait comment faire. Et lui, comme j’étais son fils, H-24, il était dédié à faire ça, à trouver des partenaires pour que je puisse vivre de ça et pour s’entraîner. Maintenant que je fais ça un peu plus seul, je vois le travail qu’il a fait pour moi, les sacrifices. C’est vrai que ce n’est pas simple, surtout quand on est pilote, d’essayer de faire tout en même temps. On n’a pas souvent le temps. Surtout que maintenant, je trouve que les yeux sont rivés sur le Mondial, le MotoGP, alors que même cette catégorie, s’appelle quand même le Junior GP. Je pense que c’est important aussi d’amener des grosses marques, ou un peu plus de lumière, ou peut-être un peu plus de médiatisation sur ce championnat-là, parce que je pense que les champions naissent d’ici. C’est important aussi d’aider ceux qui sont un peu plus bas que le MotoGP.
Photos © Manu Tormo