PUBLICITÉ
Une possibilité de dialogue pour certains… une insidieuse levée des sanctions contre la Russie, pour d’autres.
Une délégation russe avec à sa tête la présidente du Conseil de la Fédération (Sénat, chambre haute du Parlement russe) Valentina Matvienko s’est rendue en Suisse pour assister à la Conférence mondiale des présidents de parlement, du 29 au 31 juillet ; matvienko devait également participer au Sommet des femmes présidentes de parlement, qui a eu lieu le 28 juillet.
La délégation comprenait, entre autres, le vice-président du Sénat, Konstantin Kosachev, le vice-président de la Douma (chambre basse), Piotr Tolstoï, le président du parti libéral-démocrate (LDPR, en fait, d’extrême-droite populiste), Leonid Sloutski, ainsi que les « sénateurs » Lilia Goumerova et Andreï Denissov (tous sous le coup des sanctions internationales).
L‘agence de presse suisse Keystone-SDA a déjà qualifié cette visite d’un « succès diplomatique du Kremlin ».
Matvienko elle-même est soumise aux sanctions occidentales depuis 2014, comme précise Meduza, pour avoir soutenu l’annexion de la Crimée par la Russie. Mais si à l’époque les sanctions comprenaient régulièrement des dérogations pour des visites parlementaires (ce qui a permis à Matvienko de voyager déjà en Suisse en 2016 ou 2019, ainsi qu’en France en 2018), la visite actuelle est bel et bien première après l’invasion russe en Ukraine à grande échelle – que les membres de la délégation actuelle ont unanimement soutenue.
Relais de propagande russe
Et, si le Département fédéral des affaires étrangères suisse, expliquant pourquoi Matvienko a été autorisée à entrer dans le pays, a rappelé que les autorités doivent faciliter l’entrée des délégués officiels pour participer aux événements organisés par des organisations internationales, un tel laxisme a été mis à mal par le contenu du discours de la speakerine russe.
Dans son discours à la conférence, Matvienko a repris les thèses de la propagande russe sur la guerre. Elle a accusé l’Ukraine d’avoir « bombardé des régions pacifiques du Donbass » et tué des civils avant le début de l’invasion russe à grande échelle, qualifiant cette dernière de « nécessaire ».
Matvienko a accusé les pays occidentaux de tenir un « discours anti-russe » et de mener une guerre de l’information. Elle a appelé à lever les sanctions et à « défendre la paix ».
Kyiv vent debout
Entendant de tels propos, et, de surcroît, sur une scène internationale, Kyiv a, évidemment, vu rouge.
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Heorhii Tykhyi, a critiqué la participation de Matvienko à la conférence genevoise.
Selon lui, la place de Matvienko est « sur le banc des accusés, et non dans les conférences internationales », et son admission à Genève « est honteuse et n’aurait pas dû avoir lieu ».
« La génocidaire Matvienko porte une responsabilité personnelle pour le crime d’agression et tous les crimes internationaux commis par la suite après avoir publiquement soutenu l’utilisation des forces armées russes sur le territoire ukrainien », a-t-il déclaré.
Tikhyi a appelé les participants à la conférence de Genève à ne pas serrer la main de Matvienko, « qui est couverte du sang des Ukrainiens ».
« Nous continuerons à travailler sans relâche pour que Valentina Matvienko obtienne ce qu’elle mérite vraiment, à savoir un voyage à La Haye, où le Tribunal spécial chargé de juger le crime d’agression contre l’Ukraine commencera bientôt ses travaux », a conclu le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
La Verkhovna Rada (le Parlement ukrainien) a appelé ses partenaires à boycotter les événements auxquels participe la délégation russe.
La vice-présidente de la Rada, Olena Kondratiuk, qui représente l’Ukraine à la conférence, a appelé les autres présidents de parlement à éviter toute interaction avec Matvienko.
La vice-présidente a ajouté qu’elle était choquée par la présence de la délégation russe : « J’appelle les participants à la conférence des présidents à boycotter toute manifestation publique à laquelle participe cette criminelle internationale qu’est Matvienko. Toute photo commune ou poignée de main avec elle signifie se ranger du côté de l’agresseur. Et cela sera forcément utilisé par la propagande russe pour justifier les crimes de la Fédération de Russie… Nous ne pouvons pas permettre la présence honteuse de criminels sans réagir. Les personnes sanctionnées ne peuvent pas se rendre tranquillement à des réunions internationales ! Elles ne peuvent pas diffuser leurs discours sur les plateformes les plus représentatives. Quel est alors le sens des sanctions ? ».
Kondratyuk a indiqué que, pour sa part, elle prévoyait de parler lors de cet événement de ce que vit l’Ukraine en temps de guerre, de rappeler les enfants enlevés par la Russie et d’appeler à un renforcement de la politique de sanctions.
Le même son de cloche chez l’opposition russe et les utilisateurs de réseaux sociaux
Le FBK (Fond de la lutte contre la corruption, du feu Alexeï Navalny) a qualifié la visite de Matvienko de « levée insidieuse et répugnante des sanctions » et a exprimé sa crainte que ce voyage ne crée un précédent qui « réduirait à néant » tous les efforts visant à faire pression sur le régime de Vladimir Poutine : « La logique est simple : si on l’a laissé entrer en Europe une fois, pourquoi ne pas le laisser entrer la prochaine fois ? » « Celle qui a pris la décision d’envahir l’Ukraine [en tant que membre du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie] s’est rendue à Genève. Quelle honte », a écrit, pour sa part, Ivan Jdanov, directeur du FBK.
Les utilisateurs russes des réseaux sociaux également n’ont pas été tendres avec les organisateurs de la conférence. Selon le blogueur populaire Roustem Adagamov, « c’est exactement ce dont rêve le Kremlin : la normalisation du régime criminel de Poutine grâce aux mécanismes du « dialogue international ». Les représentants d’un pouvoir qui détruit la démocratie dans leur propre pays et qui a déclenché la plus grande guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale continuent de se légitimer en tant que « partenaires de coopération parlementaire » » .
Les réseaux sociaux ont également rappelé les menaces proférées par les membres de la délégation à l’encontre de l’Occident, en particulier la menace de Piotr Tolstoï de « détruire ces humanistes européens au napalm ».
Finalement, les utilisateurs pointent les liens d’apparence étroites entre la présidente de l’Union interparlementaire (UIP), Dr Tulia Ackson, à l’origine de la conférence actuelle, et la Russie : Ackson a visité le pays en 2024 en rencontrant le président Poutine et Matvienko, entre autres.
Les membres de la société civile russe en Suisse ont lancé une pétition demandant de ne plus autoriser les personnes sous le coup des sanctions à accéder aux plateformes internationales et d’enquêter sur les raisons pour lesquelles elles ont été autorisées à entrer en Suisse.
Une manifestation est également prévue ce mardi soir en face du bâtiment de l’ONU Place des Nations à Genève.