«Rien ne vous prépare à réaliser que vous faites partie d’une société qui commet un génocide. C’est un moment d’une douleur profonde.» Ce sont les mots employés par Yuli Novak, la directrice exécutive de l’ONG israélienne B’Tselem, dans un communiqué publié conjointement avec l’organisation Physicians for Human Rights-Israel (PHRI) lundi 28 juillet. Ces ONG israéliennes sont des piliers de la défense des droits de l’homme dans leur pays. Même si elles appellent à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas depuis février 2024, parler du «génocide» mené par leur gouvernement à Gaza est un retentissement. «En tant que personnes israéliennes et palestiniennes qui vivent ici et sont témoins de la réalité chaque jour, nous avons le devoir de dire la vérité avec clarté : Israël commet un génocide contre les Palestiniens», a poursuivi Yuli Novak.

Toutes deux créées à la fin des années 1980, ces ONG sont désormais bien installées dans le paysage israélien. B’Tselem («à l’image de» en hébreu) a été fondée en 1989 par des avocats, des journalistes, des universitaires ou encore, des membres de la Knesset. Ses fondamentaux, rappelés sur son site internet : «Nous documentons, étudions et publions des statistiques, des témoignages, des vidéos, des prises de position et des rapports sur les violations des droits humains commises par Israël dans les territoires occupés.» Elle se fait connaître dès 1991 en documentant la torture de prisonniers palestiniens par Israël durant la première intifada.

L’ONG est dans le viseur du Premier ministre israélien depuis de nombreuses années. En 2016, le gouvernement de Nétanyahou avait ainsi restreint les droits de 27 ONG dites «progressistes», via une loi portée par Ayelet Shaked, ministre israélienne de la Justice et figure de l’extrême droite. Sous prétexte de «transparence», la quadra avait obligé les organisations financées à plus de 50 % en dehors d’Israël – comme B’Tselem – à se déclarer auprès des autorités locales, sous peine d’amende. A l’époque, Etats et organisations transnationales s’étaient inquiétées du passage de cette loi, jugée comme une attaque du gouvernement contre les groupes de défense des droits de l’homme.

Nouvelle tension l’année suivante, quand Benyamin Nétanyahou tente d’empêcher une rencontre entre ministre allemand des Affaires étrangères de rencontrer B’Tselem. Le directeur de l’ONG de l’époque, Hagaï El-Ad, réplique dans le Haaretz, assurant que son organisation «ne reçoit pas d’ordres de Nétanyahou. Le monde non plus». En raison de son engagement, le directeur israélien de l’ONG a été traité à plusieurs reprises de «traître à la patrie». B’Tselem a pourtant été récompensée six fois par des prix des droits de l’homme. Le dernier en date n’est autre que celui de la République française, en 2018.

La guerre des mots se poursuit en 2021. Dans un rapport, l’ONG accuse pour la première fois Israël d’être «un régime de suprématie juive, du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée : c’est l’apartheid». A l’époque, le porte-parole de l’organisation, Amit Gilutz, ajoute : «On ne peut pas parler de démocratie lorsqu’un groupe de personnes en contrôle un autre et œuvre en permanence à perpétuer cette domination. C’est l’exacte définition de l’apartheid

Lorsque Hagaï El-Ad quitte l’ONG en 2023, quelques mois avant l’attaque du 7 Octobre, le journal le Monde décrit son organisation comme «la plus influente, peut-être la plus intransigeante des organisations israéliennes de défense des droits humains». C’est désormais la militante Yuli Novak qui est à la tête de l’ONG. Avant d’en devenir la directrice en 2023, elle occupe le même poste au sein de l’organisation Breaking the Silence, un organisme qui donne la parole aux militaires et réservistes israéliens ayant servi dans les territoires occupés. Alors qu’elle y est en poste, elle est, elle aussi, qualifiée de «traître» par des responsables politiques et menacée de mort en raison de son engagement. Un climat qui l’oblige à fuir Israël en 2022, un an avant de prendre ses fonctions à B’Tselem.

B’Tselem est appuyée dans son combat par Physicians for Human Rights-Israel , qui a accusé le pays de détruire «en toute connaissance de cause le système de santé de Gaza». «En tant que personnes attachées à la valeur sacrée de la vie, nous avons l’obligation de dire la vérité : c’est un génocide, et nous devons le combattre, a affirmé dans un communiqué son directeur exécutif, Guy Shalev. Depuis vingt-deux mois, les hôpitaux sont attaqués les uns après les autres, les patients se voient refuser des traitements vitaux, l’aide humanitaire est bloquée. Il s’agit d’un schéma clair et constant de destruction.»

Fondé en 1988 en réponse au manque de traitements médicaux dans les territoires occupés, ce rassemblement de médecins israéliens s’est toujours démarqué par un discours critique à l’égard de la politique israélienne. Sa fondatrice, la psychiatre et militante féministe Ruchama Marton, milite en faveur de l’égalité des droits pour tous les habitants du territoire depuis son service militaire, dans les années 1950. En 2004, elle avait notamment pris position contre la construction du mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie. En février 2024, elle continuait de promouvoir sa volonté d’un «Israël différent» et d’un «renversement radical de la politique occidentale». «Beaucoup de mes amis à Gaza n’existent plus, disait-elle alors. Eux et leurs familles ont été tués lors des bombardements israéliens dans la bande de Gaza. J’ai honte de ce que mon gouvernement et mon armée font subir à la population».

Trente-sept ans après sa création, Physicians for Human Rights-Israel a gardé les valeurs de sa fondatrice. Sur son site, l’ONG se décrit comme adoptant une approche multidimensionnelle pour atteindre ses objectifs en fournissant une aide humanitaire et en promouvant le changement politique. L’organisme est soutenu par plus de 3 500 membres et bénévoles, et fournit des soins médicaux à près de 20 000 personnes chaque année. Depuis le début du conflit à Gaza, l’ONG alerte sur la condition des médecins et du système de santé, «systématiquement détruit par Israël» dans l’enclave palestinienne.