Pour une fois, il ne sera pas question de crocs ou de proies, mais d’émerveillement. Le photographe amateur Mickaël Paul partage une rencontre rare et bouleversante avec une femelle lynx, aperçue lors d’un affût discret dans le Jura. Un instant suspendu, poétique, loin des débats sur la prédation : ici, seule compte la beauté du vivant. INTERVIEW.
Mickaël Paul est un amoureux de la faune sauvage, un photographe amateur qui ne vend pas ses photos, précise-t-il : « Je lutte simplement pour la nature par d’autres moyens : juridique, sensibilisation… et émerveillement ! La photo est seulement un moyen de m’extraire de la dureté des dossiers que je peux vivre parfois. ». Il est en effet l’une des voix des blaireaux, des renards dans notre région… Mais aussi des loups, des lynx. Bénévole engagé LPO Mickaël copréside le Pôle Grands Prédateurs.
Infochalon le remercie de partager avec nos lecteurs cette photo magnifique d’un lynx boréal, une femelle qu’il a surnommée « Pépita ».
Infochalon : L’affût est pour toi un loisir ? Combien d’heures d’attente sont nécessaires ?
Mickaël Paul : C’est à la fois un loisir, un plaisir, et surtout un moment de respiration. Une échappée belle loin de mes combats associatifs quotidiens. Je travaille pour la nature, mais la plupart du temps… enfermé. Paradoxal, non ?
Pendant que d’autres sont bel et bien dehors, sans toujours respecter les règles : bruit, présence sur des zones sensibles, chiens en liberté, comportements dangereux, voire actes de destruction illégale…
Pour moi, un affût dure généralement entre 2 et 4 heures. Ce jour-là, Pépita est apparue en moins d’une heure, j’étais aux côtés de Valérie.
Infochalon : Tu étais en affût de blaireaux ?
Mickaël Paul : Oui, c’était un site tranquille, avec des blaireaux. Pour être clair : je ne cours jamais après le lynx. L’espèce est en difficulté, et à ceux qui l’aiment, je dis : « Ne le cherchez pas. Mais protégez-le ! »
La photographie peut parfois faire plus de mal qu’on ne le pense. La présence humaine peut perturber ses proies, compromettre sa chasse (qui n’aboutit pas toujours), voire séparer une famille. Chaque action dans la nature a une incidence. Restons donc sur les sentiers, tenons nos chiens en laisse. Ce n’est pas notre zone de vie, c’est la leur.
Chaque dérangement est une dépense d’énergie pour l’animal. En hiver ou en période de canicule, c’est pire encore et cela peut les mettre en réel danger. Ils n’ont pas notre confort. Et c’est aussi pour cela que la chasse en hiver est une aberration supplémentaire à mes yeux.
Infochalon : Quel effet ça fait ?
Mickaël Paul : Waouh ! Je n’y croyais pas, surtout avec le soleil couchant qui faisait des jeux de lumière sur sa robe magnifique. Je n’arrivais même pas à faire la mise au point… dans ma tête !
Valérie me chuchotait : « Y’a un lynx… »
Et moi, spontanément (pardon pour la formulation, mais elle s’est faite ainsi…) : « Arrête donc tes conneries, y’a pas de lynx ici ! »
Mais elle insiste : « Si, y’a un lynxxxxx… » Et là, ce délicieux moment de doute initié dans mon esprit.
Je n’y croyais tellement pas que j’en étais finalement à la supplier, incapable de me reconnecter. Pépita a marqué un tronc par ses griffes, nous a laissés, puis est revenue une heure plus tard. Grâce à un conseil d’un ami photographe, j’ai juste bougé légèrement pour mieux voir… et elle était là, assise sur son tronc, tranquillement.
Nous étions debout, à ne pas bouger, elle nous a regardés calmement, puis a repris sa vie en se désintéressant de nous, limite à nous snober ! Elle a fermé doucement les yeux, comme si elle était en paix. Elle a « patouné » sur le tronc – fait ses griffes – future maman, porteuse d’espoir et d’un avenir plus beau, de cette vie, de toute vie que je défends depuis tant d’années.
Puis, une pensée brutale m’a frappé, une fois reparti, une fois redescendu de mon nuage. Et si, à la place d’un appareil photo, nous avions eu un fusil ? Elle n’aurait pas bougé non plus. Cela aurait été la même chose pour elle, mais les conséquences, funestes.
Au moins cinq cas de lynx braconnés* sont en cours d’enquête. Une seule affaire a permis d’identifier la coupable. Combien d’autres cadavres dorment dans des gouffres ou des cachettes, victimes de fous de la gâchette ?
Infochalon : On sent une colère, une détermination…
Mickaël Paul : Comment peut-on contempler un lynx… et tirer ? Ces gens-là ne prennent même pas une seconde pour réfléchir. Ou alors, ils sont déjà morts à l’intérieur d’eux.
De nombreux lynx retrouvés tapés sur les routes portaient des traces de plomb. Parfois sur leur très jeune vie ! C’est un signe de notre incapacité à cohabiter, nous humains que nous considérons être l’espèce supérieure et intelligente. Des lynx blessés par la méconnaissance, par la peur, par la stupidité. Il faut être profondément ignorant pour penser qu’ils sont nos concurrents parce qu’ils mangent « nos » chevreuils. NOS ? Parce que la vie sauvage de cette planète nous appartient ? Cette notion-même de propriété, réglée sur un bout de papier, est un système propre à nous qui est incompréhensible aux autres. Nous considérons les autres espèces comme insensibles et inférieures. Nous pensons tout détenir…
Mais… rien n’est à nous ! La nature n’appartient pas à l’humain. Nous, humains, pouvons vivre sans chasser, sans tuer, sans consommer d’espèces sauvages. Le lynx, lui, est un carnivore strict. Il n’a pas d’autre choix. Nous faisons partie d’un ensemble que nous n’avons pas conçu, qui s’est modifié lentement par des millions d’années d’évolution. Nous ne sommes pas au-dessus, mais en plein dedans. Seulement, nos agissements sont l’élément le plus perturbateur, comme je le dis parfois !
Ensuite, on reproche à la faune de se rapprocher des villes… alors que c’est nous qui avons envahi leur monde, réduisant leur habitat. On pourrait tout leur prendre, mais ils n’auraient pas à poser une plume ou une patte dans notre univers ? On exige que chaque espèce puisse justifier sa présence, sauf si elle sert nos loisirs. Est-ce que ce monde est sérieux ?
Les plus belles rencontres sont parfois celles qu’on ne fait pas. Cela signifie peut-être que nous n’avons pas dérangé leur intimité, leurs petits, leur repas.
Infochalon : Un message pour finir ?
Mickaël Paul : Oui. Si un fou veut la mort d’un lynx, la majorité des gens, eux, ne le souhaitent pas. Environ 10 % des lynx meurent chaque année sur nos routes. Les destructions illégales sont bien plus difficiles à estimer, car les cadavres ne sont pas retrouvés.
Mais vous, usagers de la route, vous n’avez pas l’intention de tuer. Vous n’êtes pas des meurtriers en puissance. Vous ne partez pas au travail le matin en vous disant que vous allez prendre une vie – la plus triste façon de vivre une journée… Alors, si vous aimez la vie, la nature, cette planète : ralentissez, ouvrez les yeux, profitez. Vous serez alors, au fond de vous-même, un héros au quotidien !
Merci.
Propos recueillis par Nathalie DUNAND
[email protected]
Photo fournie pour usage exclusif dans cet article. Toute autre utilisation (reproduction, diffusion, adaptation) est strictement interdite sans autorisation préalable de l’auteur.
* Le lynx boréal (ou lynx d’Europe), le plus grand félin sauvage présent en Europe, est une espèce considérée comme menacée ; en France, il est strictement protégé. Le Massif du Jura héberge 80 % de la population de lynx. Notre région a donc une responsabilité particulière vis-à-vis de cette espèce.
Braconner, tuer un lynx est un délit qui porte une atteinte grave à la biodiversité, passible de peines dont la plus basse est de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.