Il y a des romans que l’on n’ouvre pas pour se distraire, mais pour entrer dans un silence, un trouble, une pensée en mouvement. Des livres qui ne s’imposent pas par l’action, mais par l’atmosphère, la précision des émotions et la finesse du regard. Cet été, Charlotte Casiraghi met en avant ce type de littérature : exigeante, introspective, discrète en apparence, mais puissamment révélatrice. À travers quatre autrices, elle propose une exploration de ces espaces intimes où se jouent les questions d’identité, de langage et de liberté.

Charlotte Casiraghi met en lumière l’écriture de Katie Kitamura

Parmi ses choix, Intimités de Katie Kitamura se détache par sa tension sourde et son étrangeté assumée. L’héroïne, interprète à la Cour internationale de justice, tente de s’orienter dans une ville étrangère et un métier délicat. Le récit avance dans les non-dits. Ce qui intéresse Charlotte Casiraghi, c’est cette capacité de l’autrice à donner une épaisseur presque physique aux incertitudes. Tout est feutré, mais tout résonne. « Ce roman démontre l »habileté de Katie Kitamura à explorer la fragilité du langage, la complexité des relations humaines et la violence de l’altérité », partage la fille de Caroline de Monaco à Vogue.

Le style de l’autrice, souvent comparé à celui de Virginia Woolf, observe minutieusement les déplacements de l’intime dans des contextes très structurés. Rien n’est frontal, et pourtant chaque phrase contient une tension. Le roman devient un espace d’observation, où le lecteur est invité à regarder ce que le langage tente de couvrir ou d’effacer. Pour Charlotte Casiraghi, Intimités est une œuvre méditative, profonde, qui interroge autant notre rapport aux autres que notre propre place dans le monde.

Des portraits de société pointés du doigt par Charlotte Casiraghi

Cette exigence se retrouve dans Caisse 19 de Claire-Louise Bennett, second roman d’une autrice britannique au style singulier. À travers une narratrice insaisissable, le texte se construit comme un journal de bord sensible, où les souvenirs, les lectures et les impressions se mêlent. Ce n’est pas un récit linéaire, mais une composition d’échos. L’identité se dessine en creux, au fil des fragments. Un hommage à la lecture, à la pensée intérieure, et à la manière dont les livres façonnent, discrètement, ceux qui les lisent. « La narratrice est une passionnée de lecture et de littérature. Tout au long du roman, elle revient sur les moments forts de sa vie, marqués par les livres et autres écrits qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui : une femme, une lectrice, une auteure », confie Charlotte Casiraghi.

Plus classique en apparence, Chez les heureux du monde d’Edith Wharton propose une autre forme d’exploration intime, à travers le portrait cruel et nuancé d’une jeune femme de la haute société new-yorkaise. Charlotte Casiraghi y voit une critique acérée des apparences et des conventions sociales. Miss Lily Bart, figée dans un monde qui ne lui laisse pas sa place, devient une héroïne tragique d’une modernité étonnante. Sous ses airs de chronique mondaine, le roman révèle une mécanique sociale impitoyable, encore terriblement actuelle. « Dans sa fresque de la haute société new-yorkaise du début du XXème siècle, Edith Wharton jette souvent un regard cinglant sur l’opulence, les apparences et les conventions sociales qui dictent la vie des gens », précise la passionnée de lecture.

Charlotte Casiraghi explore d’autres formes d’intimité avec Marion Brunet

La sélection s’achève avec L’été circulaire de Marion Brunet, roman qui se déroule dans un village écrasé par la chaleur. Deux adolescentes à la dérive, une famille au bord de l’explosion, un été qui fait tout basculer. L’écriture est sèche, directe, sans concession. Un texte brut, percutant, qui explore d’autres formes d’intimité : celles du silence, de la violence latente et de l’ennui social. Pour Charlotte Casiraghi, c’est un contrepoint nécessaire, une façon d’aborder la complexité du réel sous un autre angle. « Dans un petit village du Luberon, au cours d’un été qui s’annonçait comme les autres, un événement vient bouleverser une famille où des jeunes désenchantés côtoient des parents désabusés », explique Charlotte Casiraghi.

À travers ces quatre œuvres, ce n’est pas une simple liste de livres que propose Charlotte Casiraghi, mais une réflexion sur la lecture comme miroir de soi. Ce sont des textes qui ne cherchent pas à plaire immédiatement, mais à rester. Qui, une fois refermés, laissent une empreinte durable. Des compagnons de route pour l’été, quel que soit l’endroit où l’on se trouve.