On en a déjà entendu parler de toutes les manières, certaines affirmations frôlant parfois le statut de mythes et légendes. Au moment de lire ces lignes, vous êtes peut-être même en train de vous gratter irrésistiblement. Pour vous accompagner dans ces démangeaisons, on vous propose d’en apprendre plus sur l’un des insectes les plus relous du moment, avec des questions-réponses et un spécialiste à Strasbourg : Éric Marois.
C’est reparti. Comme tous les étés, c’est la même galère. Dès qu’on met un pied dehors, qu’on profite d’un barbecue entre potes, qu’on admire un coucher de soleil ou qu’on se blottit simplement dans un plaid, les Alsacien(ne)s ont un ennemi commun : les moustiques.
Depuis quelques années, c’est même le moustique tigre, le plus vicieux, qui vient plomber l’ambiance estivale. Les bombes antimoustiques et les bougies à la citronnelle font rapidement office de stars de l’été et ces moments laissent place à toutes les discussions sur ce petit insecte assoiffé de sang. D’ailleurs, une opération de démoustication a eu lieu dans la nuit du 29 au 30 juillet à Strasbourg et Truchtersheim après la découverte d’un cas de Zika.
© Hugo Favre – Napoli / Pokaa
« Éteignez les lumières », « Moi je pense que c’est parce que j’ai le sang sucré », « J’ai lu quelque part que c’étaient juste les femelles qui piquaient »… Finalement, on en sait souvent assez peu sur les moustiques.
Alors, pour briller lors de vos prochaines soirées, on est allé solliciter l’aide d’un expert de la question, le chercheur Éric Marois, spécialisé dans l’étude du moustique. Il est chargé de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et travaille à l’IBMC (Institut de biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg). Il étudie les relations entre les moustiques et les pathogènes qu’ils transmettent aux humains, notamment dans l’optique de lutter contre ces maladies.
C’est parti pour le questions-réponses !
Éric Marois. © C. Schröder – Unistra / Capture d’écran
1. Est-ce que le moustique est une espèce invasive ?
Pour commencer, quand on parle « du » moustique, on fait une grossière simplification parce qu’il y a 3 729 espèces décrites par la science et toutes ne sont évidemment pas invasives. Donc quand on pose cette question, on pense plutôt à l’aedes albopictus, le moustique tigre, qui est bien sûr une espèce extrêmement invasive puisqu’il est originaire d’Asie du Sud-Est.
À la faveur des échanges commerciaux humains, il s’est répandu à la surface du globe, en étant bien aidé par le réchauffement climatique qui le fait proliférer beaucoup plus rapidement.
© Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg (IBMC) / Document remis
Les moustiques prennent le bus, le camion, les voitures et suivent les voies de circulation routière pour émigrer et fonder de nouvelles colonies. Leurs œufs voyagent dans des espaces qui ont pu contenir de l’eau.
Il existe par exemple un trafic international de pneus usagés, transportés par bateau et souvent entreposés dans des espaces de stockage en plein air. Ils se remplissent d’eau et les moustiques pondent dedans. Ils sont ensuite chargés sur un bateau et arrivent dans de nouveaux pays.
© Pxhere / Photo d’illustration
2. Le moustique tigre va-t-il devenir l’espèce prédominante en France ?
Prédominante, ça sera possible localement, dans des endroits qui lui sont particulièrement favorables. Donc principalement en ville puisque c’est un moustique qui aime bien les zones urbaines, au contact de l’humain. Mais ce ne sera pas forcément le cas dans des milieux naturels ou autour des grandes villes.
1. © Anthony Jilli / Pokaa ; 2. © Nicolas Kaspar / Pokaa
3. C’est vrai que certaines personnes se font plus piquer que d’autres ?
Oui, c’est reconnu. Par contre, ça ne dépend pas forcément de la composition du sang, mais plutôt de l’odeur corporelle, qui elle-même dépend des microbes présents sur notre peau. C’est ce qu’on appelle le microbiote cutané.
Certains microbes vont émettre des composés volatiles qui sont plus ou moins attractifs pour les moustiques. Et selon ces microbes, les odeurs vont être différentes et plus ou moins attractives pour les moustiques.
© Domaine public – Wikipédia / Capture d’écran
4. Ce ne sont que les femelles qui piquent ?
Oui, c’est vrai. Elles ont besoin de cette énergie et des nutriments contenus dans le sang pour approvisionner leurs œufs en développement dans leurs ovaires.
Quand elles n’ont pas besoin de pondre, elles se contentent de consommer le nectar des fleurs ou les liquides sucrés qui peuvent suinter de la végétation, exactement comme les mâles.
© Marie Goehner-David / Pokaa
5. C’est vrai que moustique est l’espèce animale la plus mortelle dans le monde ?
Encore une fois, il faut faire preuve de nuance quand on parle du moustique puisqu’il y a beaucoup d’espèces. C’est un ensemble d’espèces qui est responsable de près de 750 000 morts par an.
Effectivement, c’est plus que tout autre animal, y compris l’humain lui-même qui ne tue « que » 400 000 de ses semblables chaque année. Par contre, ce n’est pas le moustique directement qui tue, il le fait en transmettant des virus et des parasites. Le pire parasite aujourd’hui, celui qui fait le plus de morts, c’est le paludisme, qui touche toute la zone intertropicale et surtout l’Afrique subsaharienne.
© Éric Marois – Inserm / Document remis
6. Des épidémies de chikungunya seront-elles possibles dans les prochaines années en France ?
Oui, puisque le moustique tigre est bien installé en France. Chaque année, il y a plusieurs centaines de cas importés, qui sont des personnes qui reviennent des tropiques avec le virus. Si elles se font piquer par un moustique tigre, il va ensuite pouvoir piquer une autre personne et transmettre le virus.
Le moustique tigre. © James Gathany – Wikipédia / Capture d’écran
Ces dernières années, il y a de plus en plus de cas autochtones, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas voyagé, mais qui ont été piquées par un moustique contaminé.
Cependant, ces épidémies ne pourraient jamais être aussi terribles que dans les tropiques, puisqu’en France métropolitaine, on a encore la chance d’avoir une saison froide et pendant ce temps-là, la transmission s’arrête. Ce qui n’est pas le cas dans les outre-mer, comme à la Réunion ou dans les Antilles.
© Pxhere / Photo d’illustration
7. Un jour, grâce aux modifications génétiques, les moustiques ne transmettront plus de maladies ?
C’est ce qu’on essaie de faire en tout cas, mais on ne peut pas prétendre que ça va marcher à 100%. On a bon espoir de mettre au point des outils qui bloqueraient certaines maladies comme le paludisme ou la dengue. Si on arrive aussi à éradiquer certaines espèces de moustiques, les plus vectrices de maladies, on pourrait bloquer les contaminations. On est encore loin de la réalisation de ces projets et ça risque d’être plus compliqué que sur le papier.
Aujourd’hui, on travaille sur des méthodes de lutte génétique qui utilisent des moustiques OGM ou des moustiques stérilisés par des rayons X, pour relâcher des mâles stériles dans la nature. Ce sont des techniques qui commencent à être expérimentées en France métropolitaine depuis cette année. C’est le genre d’intervention qui peut contrer un risque épidémique à venir.
© Marie Goehner-David / Pokaa
8. Est-ce que le moustique est un insecte inutile ?
Faux, je ne dirais pas ça. Toute espèce a sa place dans l’écosystème. Les larves de moustiques filtrent l’eau, elles participent à sa purification, à la rendre plus claire et donc plus favorable au développement de formes de vie. Elles servent aussi de nourriture à des poissons, des insectes aquatiques comme les puces d’eau, les noctuelles, etc. Les moustiques servent aussi de nourriture aux libellules, à certains oiseaux, aux chauves-souris. C’est un composant des chaînes alimentaires.
Après, il y a des milliers d’espèces de moustiques et dans un périmètre assez restreint, on peut en retrouver une centaine. Donc si on réussit à supprimer les populations du moustique tigre, il y aura d’autres espèces pour entretenir la chaîne alimentaire. Surtout qu’étant une espèce invasive, elles n’existaient pas dans l’écosystème français jusqu’à présent. Sa disparition signifierait donc un retour à l’état initial de l’écosystème.
© Marie Goehner-David / Pokaa
9. En France métropolitaine, il ne faut pas céder à la panique face aux risques ?
Oui, il ne faut pas paniquer. Vu le nombre de cas autochtones, on a quasiment une chance sur un million d’attraper la dengue ou le chikungunya, même si dans le futur cette probabilité pourrait augmenter. Mais 2025 est quand même une année à risque, à cause de l’épidémie à la Réunion, où des pics de 10 000 contaminations par semaine ont été atteints.
Les voyageurs et voyageuses qui reviennent de la Réunion ont donc une probabilité accrue de ramener le virus. Donc cette année, il y aura peut-être un risque un peu plus élevé. Tomber malade reste assez peu fréquent et peu probable, mais il vaut mieux se protéger des piqûres de moustiques.
© JacobAviation – Wikipédia / Capture d’écran
10. Pour finir, un conseil à partager ?
Il faut éviter d’avoir de l’eau stagnante chez soi, dans un arrosoir oublié dans un coin du jardin, dans un récupérateur d’eau non protégé sans moustiquaire, sur les bâches des piscines, etc.
Ces points d’eau font proliférer les moustiques. D’autant que le moustique tigre adulte se déplace dans un rayon d’une centaine de mètres. La plupart du temps, quand on se fait piquer chez soi, c’est que le moustique est né sur son propre terrain.
Journaliste : Jules Scheuer