• Les autorités russes exercent une censure massive en ligne, restreignent les sites web et les plateformes en ligne qu’elles jugent subversifs, et procèdent de plus en plus à des coupures arbitraires d’Internet dont l’ampleur s’est intensifiée.
  • En vertu du droit international, la Russie a l’obligation de garantir l’accès à l’information, la liberté d’expression et le droit à la vie privée, y compris en ligne.
  • Les gouvernements occidentaux, les organisations internationales et les entreprises de technologie devraient soutenir les efforts de la société civile pour créer des outils permettant de surmonter la censure de l’État et pour garantir l’accès à des informations indépendantes.

(Vilnius) – Les autorités russes ont intensifié la censure en ligne, les perturbations d’Internet et la surveillance depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 50 pages, intitulé « Disrupted, Throttled and Blocked: State Censorship, Control, and Increasing Isolation of Internet Users in Russia » (« Internet perturbé, ralenti et bloqué : Censure par l’État, contrôle et isolement accru des internautes en Russie ») documente l’impact des capacités technologiques croissantes du gouvernement et de son contrôle sur l’infrastructure d’Internet dans ce pays. Human Rights Watch a constaté que cela permet aux autorités de procéder à un blocage et à une restriction plus généralisés et non transparents des sites web indésirables et des outils de contournement de la censure, ainsi qu’à des perturbations et des coupures d’Internet sous le prétexte de garantir la sécurité publique et la sûreté nationale.

« Pendant des années, les autorités russes ont méticuleusement développé leurs outils juridiques et technologiques afin de convertir l’espace de l’Internet russe en un forum étroitement contrôlé et isolé », a déclaré Anastasiia Kruope, chercheuse adjointe auprès de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Leurs efforts ont conduit à une censure généralisée, à des perturbations d’Internet à grande échelle et à un affaiblissement de la sécurité et de la vie privée, en violation de leurs responsabilités en matière de droits humains en vertu du droit international. » 

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 13 journalistes et experts indépendants russes et internationaux sur la censure d’Internet et les droits numériques, la sécurité de l’information, la gouvernance d’Internet et la politique numérique. Les chercheurs ont également analysé les lois et les règlements, ainsi qu’un large éventail de sources ouvertes en anglais et en russe, telles que des articles de recherche universitaire, des forums informatiques russes et des données recueillies par des projets russes et internationaux de surveillance de la censure sur Internet.

Human Rights Watch a adressé des courriers à huit entreprises de technologie – cinq sociétés étrangères et trois sociétés russes – ainsi qu’au gouvernement russe, au sujet de ses conclusions. Les réponses de l’entreprise américaine Cloudflare et de la société de technologie russe Yandex sont reflétées dans le rapport et figurent en annexe de ce document, qui est publié sur le site web de Human Rights Watch.

Les autorités russes ont bloqué des milliers de sites web, y compris des sites de médias indépendants et d’organisations de défense des droits humains, des pages web d’opposants politiques, ainsi que des plateformes de réseaux sociaux, pour non-respect de la législation draconienne qui régit les activités en ligne en Russie.

Certains sites étrangers et diverses plateformes ont cessé de fournir des services aux internautes russes en raison des sanctions et des pressions politiques qui ont suivi l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

L’accès aux applications ou aux sites web bloqués, comme Instagram ou Facebook, est quasiment impossible en Russie sans passer par un réseau privé virtuel (Virtual Private Network, VPN), outil qui permet aux internautes de contourner la censure. Pourtant, d’après certaines estimations, environ la moitié de la population du pays ne sait pas utiliser ces outils, et les autorités les bloquent de plus en plus.

Ceci, associé à une promotion active par l’État d’alternatives russes, a forcé un nombre croissant d’internautes à basculer sur les navigateurs et les plateformes de réseaux sociaux russes qui proposent à leurs utilisateurs du contenu et des interprétations des événements actuels et historiques soutenus par le gouvernement. Les internautes sont également confrontés à des risques plus élevés de voir leurs données personnelles transmises aux services de police.

La loi russe exige que les sites web qui publient des annonces consacrent 5 % à des « publicités sociales », définies comme visant « des objectifs caritatifs ou d’autres objectifs ayant une valeur sociale, ainsi que la protection des intérêts de l’État ».

Le navigateur de Yandex a affiché une « publicité sociale » du gouvernement exhortant les citoyens à rejoindre les forces armées russes, apparemment pour combattre sur le front ukrainien, plus de deux milliards de fois au cours des deux dernières années. L’entreprise Yandex affirme qu’elle interdit strictement la publicité politique.

En parallèle, les autorités russes font de plus en plus pression sur les entreprises de technologie étrangères dont les services sont populaires auprès des internautes russes, comme Apple, Google et Mozilla, afin qu’elles suppriment les VPN et autres contenus que le gouvernement juge subversifs, en les menaçant d’amendes et de blocage. Les autorités font pression sur les fournisseurs d’hébergement et les services de réseau de diffusion de contenu étrangers, tels que Cloudflare, l’un des réseaux de diffusion de contenu populaires en Russie, pour qu’ils se conforment à la législation en vigueur sous peine d’être confrontés à des ralentissements et à des blocages. En mai 2025, l’entreprise Cloudflare a indiqué à Human Rights Watch qu’elle n’est généralement pas en mesure d’identifier ou de confirmer des blocages ordonnés par le gouvernement, et qu’elle n’a jamais bloqué de sites web à la demande du gouvernement.

En décembre 2024, Apple, Amazon Web Services (AWS) et Mozilla ont répondu à des questions posées par Human Rights Watch. Apple a déclaré à Human Rights Watch que le respect des « ordres légaux » de la Russie était nécessaire « pour continuer à fournir des services de communication à la population russe ». AWS a répondu que l’entreprise « se conforme aux lois sur les sanctions applicables dans les territoires où elle exerce ses activités et qu’elle dispose de politiques et de procédures pour garantir la conformité ». La société a également confirmé qu’elle n’avait pas de bureaux ou d’infrastructures en Russie et que, depuis mars 2022, elle n’autorisait plus de nouveaux abonnements à ses services pour les personnes basées en Russie et en Biélorussie. Mozilla a souligné son engagement à soutenir les internautes en Russie et dans le monde, en plaidant pour un Internet ouvert et accessible à tous.

Le 8 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt concluant que la Russie avait violé la liberté d’expression et le droit à un procès équitable en infligeant des amendes et d’autres sanctions à Google entre 2021 et 2023, au motif que la société avait refusé de retirer des vidéos à caractère politique et d’autres contenus de YouTube à la demande des autorités russes.

La censure croissante en ligne est menée à l’aide d’un type de dispositifs appelés « moyens technologiques pour contrer les menaces » (ТСПУ ou TSPU). Ces dispositifs sont installés sur pratiquement tous les réseaux des fournisseurs d’accès Internet (FAI) du pays conformément aux exigences énoncées dans la loi dite sur « l’Internet souverain » et ses règlements, qui visent à créer un segment russe de l’Internet totalement isolé.

Les TSPU permettent également au gouvernement de procéder à des exercices d’« isolement d’Internet » et à des coupures régionales au motif de protéger la sécurité publique. Les autorités affirment que ces tests n’ont aucun impact pour les internautes moyens ; cependant, des utilisateurs ont signalé des perturbations d’Internet au cours de ces « exercices », telles que des échecs de transactions bancaires en ligne ou un accès perturbé aux sites web de l’État et aux applications de taxi.

Les autorités ont également exercé une plus grande mainmise sur Internet en Russie en prenant le contrôle de son architecture. Elles ont regroupé plus de la moitié des adresses IP russes pour en confier la gestion à sept fournisseurs d’accès Internet liés à l’État et ont diminué le nombre total de FAI. Le gouvernement a également créé un système national de noms de domaine, qui fonctionne comme un registre des adresses Internet, et des certificats de sécurité de la couche transport gouvernementaux, qui vérifient que le site web appartient à une entité de confiance et que le service est crypté.

Les zones de l’Ukraine occupées par la Russie avant et après l’invasion à grande échelle en février 2022 sont soumises à une censure en ligne et à des perturbations d’Internet similaires.

La Russie devrait mettre fin à toute censure de la liberté d’expression sur Internet protégée au niveau international et veiller à ce que toute restriction en ligne soit légale, nécessaire et proportionnée, ce qui exige qu’elle soit limitée dans sa portée et transparente. Les autorités devraient stopper leurs efforts pour regrouper et contrôler l’architecture d’Internet, qui entravent le droit de rechercher et de communiquer des informations et portent atteinte à la vie privée. Elles devraient mettre un terme aux coupures d’Internet et garantir la transparence concernant les ingérences du gouvernement dans l’Internet. Elles devraient également cesser de faire pression sur les entreprises de technologie étrangères et russes pour qu’elles divulguent les données de leurs utilisateurs et censurent les contenus de manière non conforme aux normes internationales.

Les entreprises de technologie étrangères et russes devraient résister à la pression de l’État concernant la censure des contenus et la divulgation des données de leurs utilisateurs en violation du droit international en employant tous les moyens légaux et les solutions technologiques disponibles. Elles devraient également veiller à ne pas se livrer à la censure.

Les gouvernements occidentaux ainsi que les organisations internationales et intergouvernementales devraient soutenir les efforts de la société civile pour créer des outils permettant de contourner la censure étatique afin de promouvoir l’accès à des sources d’information indépendantes et garantir la vie privée des utilisateurs en ligne.

« Les autorités russes ont mis en place un arsenal exhaustif constitué de politiques et de moyens technologiques visant à étendre leur censure et contrôle d’Internet, et qui ne sont généralement pas visibles par un internaute ordinaire », a conclu Anastasiia Kruope. « Ces mesures apparemment invisibles ont des conséquences dévastatrices pour l’accès à l’information, la vie privée et la liberté d’expression de chaque internaute en Russie. »