En Israël, le rabbin Ben Artzi est réputé pour son sens de la démesure et pour ses prophéties qui, parfois, touchent juste. Il aurait par exemple prédit, dès 2017, la manière dont Tsahal mènerait ses frappes contre les installations nucléaires iraniennes et que l’aviation israélienne en sortirait indemne. Ce week-end, Ben Artzi s’est surpassé : dans une vidéo devenue virale et dont le Jerusalem Post s’est fait l’écho, il exhorte les juifs de France à fuir d’urgence, affirmant que « le Saint-Esprit a placé l’ange de la destruction dans le corps du président Emmanuel Macron ». Il va jusqu’à affirmer que Dieu aurait « donné des pouvoirs terrifiants aux musulmans en France pour éradiquer les Juifs », insinuant que le chef de l’Etat, « possédé par Satan », essaierait d’apaiser cette menace en reconnaissant l’État de Palestine.
Si la radicalité du discours du rabbin Ben Artzi reste marginale en Israël, elle reflète un sentiment croissant à Tel-Aviv de défiance envers la France. Une étude de l’Université hébraïque de Jérusalem, publiée en mai 2024, révèle que 55 % des Israéliens considèrent la France comme un pays antisémite, loin devant le Royaume-Uni (40 %), la Pologne (35 %) et l’Allemagne (21 %).
L’explosion des actes antisémites dans notre pays depuis le 7 octobre y est pour beaucoup : 1570 ont été recensés en 2024, contre 436 en 2022. Surtout, ces violences concernent désormais en premier lieu des attaques contre des personnes (65,2 %), loin devant les dégradations de biens ou les inscriptions insultantes.
Le 25 juillet, le ministre des Affaires étrangères israélien, Gideon Saar, a ainsi taclé : « Le président Macron est incapable d’assurer la sécurité d’Israël. Espérons qu’il parviendra à le faire dans les rues de Paris. » Comme en écho, un Israélien francophone, amoureux de Paris, nous racontait ces derniers jours qu’il n’ose plus venir en vacances chez sa famille française : « J’aimerais beaucoup revoir la France, mais j’ai trop peur de Saint-Denis. C’est devenu dangereux d’être juif à Paris, non ? »
L’image d’un pays « sous occupation islamiste »
La médiatisation des actes antisémites et la multiplication des manifestations pro-palestiniennes ont répandu l’idée, en Israël, que la France est passée sous contrôle de sa communauté musulmane, voire d’islamistes radicaux. Mi-juillet, une Israélienne de confession druze nous expliquait avoir visionné des dizaines de vidéos de musulmans priant dans les rues à Paris, notamment dans le quartier de l’Institut du monde arabe, et nous demandait sincèrement si le pays se trouvait sous « occupation islamiste ». Selon elle, les critiques de la diplomatie française contre la guerre à Gaza auraient pour unique objectif de satisfaire l’électorat musulman.
Même la victoire du Paris Saint-Germain en Ligue des champions, en mai dernier, a provoqué la grimace de nombreux Israéliens. « Plusieurs vidéos de joueurs parisiens défendant la Palestine ont tourné sur les réseaux sociaux, assure une guide touristique dans le nord d’Israël. C’est triste et c’est devenu impossible pour nous de supporter le PSG. Sans parler de ses propriétaires, le Qatar, qui sont les premiers soutiens du Hamas. »
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A l’origine de cette image problématique de la France en Israël, il y a aussi une couverture médiatique souvent tronquée. Les marques du soutien de la France à l’Etat hébreu ont tendance à disparaître des radars, quand les passes d’armes politiciennes entre les deux pays font la une. Un diplomate de la région nous racontait par exemple son effarement après la cérémonie du 7 février 2024 aux Invalides, lors de laquelle un hommage national fut rendu aux victimes des massacres terroristes du 7 Octobre. Un signe d’affection envers Israël sans équivalent dans le monde. « A l’époque, très peu de médias israéliens l’ont relayée, alors que c’était un événement majeur et la preuve des liens d’amitié de la France pour Israël, regrette le diplomate. C’était la même chose lors de la grande marche contre l’antisémitisme à Paris quelques mois plus tôt : les Israéliens n’en ont pas entendu parler, ou alors ils n’ont pas voulu en entendre parler. »
En coulisses, la coopération franco-israélienne reste excellente
Ce n’est malheureusement qu’un début. L’annonce de la reconnaissance à venir d’un Etat palestinien par Paris a déclenché un torrent d’indignations de Jérusalem à Tel-Aviv. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a fustigé une décision qui « encourage la terreur », quand le ministre des Finances, le colon Bezalel Smotrich, souhaite répondre à la pression diplomatique française en annexant totalement la Cisjordanie.
En coulisses pourtant, cette annonce d’Emmanuel Macron n’a rien d’une surprise et n’entrave pas le fond des relations entre les deux pays. « Depuis le 7 octobre, il y a eu des hauts et des bas avec la France, reconnaît un haut fonctionnaire israélien, proche de Netanyahou. Nous avons souffert des nombreuses critiques injustes concernant notre gestion de la guerre à Gaza mais au niveau bureaucratique la coopération reste très bonne. Au final, la France continue d’être un pays extrêmement important pour Israël. »
Cette source haut placée n’oublie pas l’aide précieuse de la France pour intercepter les premiers missiles iraniens qui visaient le territoire de l’Etat hébreu, en avril 2024, ou encore la visite du président Macron « chargée d’émotions » dans la foulée du 7 octobre 2023. « En famille ou avec vos amis, il arrive de se disputer, souligne ce haut fonctionnaire. Nous, Israéliens, sommes particulièrement doués pour cela. Croyez-moi, nous disons ce que nous pensons à nos homologues français quand c’est nécessaire, et eux ne se privent pas non plus. »
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Par ailleurs, les dirigeants israéliens sont unanimes à saluer le rôle décisif de la France au Liban, où Paris a réussi à faire revenir les investissements saoudiens et s’assure du respect du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah depuis novembre dernier. « Nous sommes extrêmement satisfaits de ce mécanisme américano-français, souligne Olivier Rafowicz, le porte-parole francophone de Tsahal. La France joue un rôle important au Liban, ce n’est pas nouveau, mais dans ce cadre-là c’est très important : cela permet aux Israéliens du nord [NDLR : qui vivent près du sud Liban] d’enfin revenir chez eux et d’avoir une situation presque normale à la frontière nord d’Israël. »
Malgré ces amabilités, une reconnaissance française d’un Etat palestinien ne restera pas sans réponse israélienne. Trois jours après l’annonce d’Emmanuel Macron, un rapport « secret » a fuité opportunément dans les médias de l’Etat hébreu : selon cette source, les renseignements extérieurs français auraient rencontré à plusieurs reprises des membres du Hamas ces dernières années, sur demande directe de l’Elysée et avec l’intention d’établir des relations officielles avec le groupe palestinien… Des accusations rejetées immédiatement par la diplomatie française, qui y voit « une manœuvre pour délégitimer nos efforts en faveur d’une solution à deux Etats ». La passe d’armes ne fait sans doute que commencer.
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