Première diffusion le 28 mai 2025
C’est dans un havre de paix sur la côte d’Azur que se cache la Villa Kérylos. Une imposante et surprenante maison de 1 700 m2 avec son jardin, conçue et réalisée par l’archéologue, juriste, philologue, épigraphiste, historien, numismate, musicologue et homme politique Théodore Reinach et l’architecte Emmanuel Pontremoli, au début du siècle dernier. Synthèse de riches demeures de l’île de Délos de l’époque hellénistique (deux siècles avant JC), elle appartient à l’Institut de France et se visite toute l’année, sous la gouverne du Centre des monuments nationaux. Le CMN, en quête d’un nouveau mandat pour administrer le lieu, cherche à l’ouvrir à différents publics. Avec une fréquentation en hausse (62 000 visiteurs l’an dernier) et depuis deux ans des médiations pour des personnes non voyantes ou des enfants avec des troubles du comportement.
A l’intérieur et à l’extérieur de la Villa Kérylos. Dans la mythologie grecque, Kérylos désigne l’Alcyon, un oiseau mythique, hirondelle de mer réputée annoncer un heureux présage. © Radio France – Eric Chaverou La visite interactive inédite de jeunes de l’école de la 2e chance
En une belle après-midi du mois de mai, 7 jeunes de l’école de la 2e chance de Nice, âgés de 16 à 22 ans, sont à leur tour venus à Beaulieu-sur-Mer avec leur accompagnatrice découvrir ce joyau, mais aussi rencontrer l’artiste contemporain qui y expose pour l’été : Gabriel Leger. Une première. Ils ont d’abord visité pièce par pièce le monument, au fil des oeuvres qui l’enrichissent actuellement, avant un atelier de calligraphie sur de fines plaques de laiton avec celui qui a magnifié cette technique. Chacun, chacune a choisi une phrase, traduite en grecque, avant de la graver au poinçon. Comme l’a fait Sheyma : « J’ai écrit ‘La sagesse est un chemin sans fin’. Et tout ce que Gabriel Leger sait, on voit que cela le passionne. Cela nous donne envie d’en découvrir encore plus et cela nous permet d’avoir de l’imagination et de développer un peu nos esprits ».
Un échange inédit pour l’artiste, enthousiasmé et très touché par le moment passé à expliquer sa démarche et sa façon de la transcrire : « Quand on voit les originaux de la Grèce antique et qu’on les compare à ce qu’ils ont fait, on est exactement devant la même chose. C’est magnifique de les voir écrire en grec. C’est vraiment l’Antiquité qui passe comme ça. Je suis époustouflé ! C’est très émouvant, extrêmement émouvant. »
Deux jeunes à l’oeuvre. Leurs phrases à graver : « Je suis né deux fois, et la deuxième, c’était pour être libre ». Et « L’âme d’un enfant est fait de lumière et de silence, elle voix ce que les adultes oublient. » © Radio France – Eric Chaverou « C’est montrer que l’art est vivant »
L’accompagnatrice de l’école de la 2e chance de Nice, Wendy Mastroianni, est elle aussi ravie : « C’est génial qu’ils puissent rencontrer un artiste. Ils n’en verront probablement plus jamais. Je trouve que cela va les enrichir émotionnellement et culturellement. Ils pourront en parler plus tard. Cela va forcément les enrichir. Et c’est montrer que l’art est vivant et qu’il est accessible aussi. Parce que la plupart de ces jeunes vivent en quartier prioritaire et pour eux, la culture, l’artistique, ce n’est pas forcément pour eux. »
La responsable pédagogique de la Villa Kérylos, qui a elle aussi constamment dialogué avec ces jeunes sur place, va jusqu’à pleurer à la lecture d’une des phrases gravées et devant l’entrain et la vivacité de ceux qui ont d’entrée cité quantité de dieux et de déesses grecques. Preuve pour Vassiliki Castellana que la culture grecque, dans ses multiples dimensions et grâce à ses réinterprétations, reste bien ancrée : « Je suis très émue parce qu’on voit qu’ils connaissent des choses et que la mythologie grecque leur rappelle des héros et des monstres; et que ce que nous appelons l’art contemporain – et c’est assez abstrait pour les adultes – leur parle tout de suite. Nous avons vu comment ils se sont appropriés les oeuvres, en particulier celles qu’ils pouvaient toucher. C’est aussi la mission des musées, en respectant les oeuvres, que de pouvoir les rendre accessibles, surtout au jeune public. »
« Très émue », la responsable pédagogique du lieu revient sur cette visite et cet atelier, ainsi que sur l’ouverture à différents publics
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Un des jeunes touche une des oeuvres composée de rubans de laiton pour mieux l’appréhender. © Radio France – Eric Chaverou Gabriel Leger ou « amener l’Antiquité aujourd’hui, d’une façon vivante »
Sollicité par le Centre des monuments nationaux, le plasticien avait le choix du lieu qu’il pouvait investir. Sa vie entre Paris et Athènes, avec une femme grecque et un lien très fort avec ce pays, l’a naturellement poussé à souhaiter exposer dans cette Villa qu’il avait déjà visitée plusieurs fois : « Kérylos agissait comme une évidence, pas facile mais intuitive ». Pour ses 14 oeuvres exposées jusqu’au 21 septembre prochain, celui qui dit avoir « eu toute liberté » explique avoir privilégié deux pistes – la nature et la littérature, dans « une forme de respect du lieu, à l’origine parfaitement réfléchi et auquel il n’y a d’une certaine façon rien à ajouter ». « En essayant de suivre les pas du fondateur de la Villa, c’est-à-dire d’amener l’Antiquité aujourd’hui, d’une façon vivante » :
Gabriel Leger revient sur la genèse et les coulisses de son oeuvre pour la Villa Kérylos
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Gabriel Leger dans la bibliothèque de la Villa, devant l’oeuvre qui porte le nom de l’exposition : ‘L’Or du temps’. Ce texte étant un assemblage de poèmes grecs, de l’Antiquité à nos jours. Laiton perforé et riveté, structure acier. 19 mai 2025 © Radio France – Eric Chaverou
Pour la nature, Gabriel Leger a donc cueilli des éléments organiques (des branches, des fleurs) dans des lieux archéologiques importants de l’Athènes antique, capté de la pluie ou créé du levain, avant de les transformer en France et de les disposer sur mesure dans la Villa.
Pour la littérature, il s’est servi de « mots qui viennent de différents endroits, de différentes époques ». Comme ceux des oracles de Delphes et de Dodone ou de la poésie grecque ainsi que d’un papyrus d’Herculanum. Celui qui explore les liens multiples entre passé et présent, et dont l’exposition s’appelle d’ailleurs ‘L’or du temps’, a aussi employé une presse actuelle pour plaques à immatriculation pour presser des mots antiques sur des rubans de laiton. « Je n’ai pas voulu trop copier la façon d’écrire en grec antique. C’est un outil d’aujourd’hui qui aide à faire parvenir quelque chose d’ancien », explique-t-il.
‘Le banquet de l’exilé’. Oeuvre faite de pains et plats en laiton. Pains à base d’un levain créé à Athènes. 19 mai 2025 © Radio France – Eric Chaverou
Gabriel Leger n’a pas voulu non plus mettre trop de barrières physiques entre le public et ses oeuvres : « Je prends ce risque, c’est une maison où les gens vivaient, j’ai voulu que les choses soient fluides, que mes oeuvres permettent aux visiteurs de voir la Villa et de la vivre autrement ». Et celui qui est notamment passé par une résidence à São Paulo souligne sa volonté de passer par l’émotion et reconnaît un accomplissement : « Absolument, j’ai changé ma façon de réaliser des oeuvres grâce à cette Villa et mon rapport à la Grèce a également changé, parce que j’ai dû beaucoup l’approfondir pour cette exposition, et par mes lectures et par ma vie ».
Gche à dte : ‘La sandale d’Empédocle’ (laiton, rivets), ‘Souviens-toi’ (Buste d’Homère en partie caché; cyanotype sur voile de coton) et ‘Vendredi d’éternelle pluie’ (moulage de la pluie tombée sur Athènes le 6 décembre 2024 plongé dans une baignoire en marbre de Carrare de la Villa). © Radio France – Eric Chaverou