« Pas du tout, s’insurge-t-il tout en souriant. Durant les vingt premières années de ma vie, moi, au contraire de Dracula, je suis rejeté de partout. Mes parents divorcés refondent des familles, me mettent en pension : mon envie et mon courage viennent de ces moments difficiles. Ils m’ont permis d’avoir la foi de faire des films. Après il y a une période où ça se passe très bien, ou un peu trop bien même. Quand vous gagnez 500 millions au Lotto, une cellule de soutien psychologique vous vient en aide. Pas quand vous rencontrez le succès jeune, alors que rien ne vous y a préparé. Et comme le dit le proverbe, la foudre tombe toujours sur l’arbre le plus haut. »

Plus de 200 films ont été consacrés à Dracula. Tellement différents qu’ils en disent finalement surtout long sur leurs auteurs. Vous êtes donc un grand romantique ?

« Je crois que j’ai toujours fait des films en réaction à la société que je subis comme tout le monde. Si vous reprenez l’époque de Nikita, on est dans une société française assez bourgeoise, un peu grassouillette, de droite, où tout se passe bien et quand on a 20 ans on a juste envie de mettre des coups de pied dans tout ça. 40 ans plus tard, ce n’est pas du tout la même histoire : on vit dans un monde de plus en plus cynique où il n’y a que l’argent qui compte. Dans mon expression artistique, j’ai donc envie de dire l’inverse : l’amour, l’amitié, la fraternité, ça pourrait peut-être venir un peu avant l’argent. C’est ma petite lutte artistique personnelle : les amis, revenons à des choses un peu plus humaines.« 

Vous êtes scénariste, réalisateur, producteur, vous avez à peu près tous les pouvoirs. Quels sont vos garde-fous ?

« Vous parlez de pouvoir, moi de devoir. Il y a un roi, c’est le film. À 17 ans, je travaillais sur un plateau et on m’a dit que le film était le roi : ‘Est-ce que tu es prêt, toi, à mourir pour ton roi ?’ Et à 17 ans, j’ai dit oui, même si je ne voulais pas mourir. J’ai cet esprit-là. Le film seul commande. Donc les décisions sont prises en ayant une oreille attentive aux problèmes financiers, mais pas plus que pour la cheffe déco, le chef costume ou un acteur. L’accumulation des pouvoirs ne sert qu’à une chose, libérer la créativité de chacun. La cheffe maquillage va arriver avec une idée : on devrait faire les yeux comme ça. Le directeur de production estime que ça va coûter trop cher et moi, il faut que je sois capable de dire qu’on le fait quand même parce que ça va rendre le film meilleur. À partir du moment où je suis convaincu que c’est 0,1 point de plus pour le film, je le fais, même si l’idée ne vient pas de moi. »

Alors qu’on parle surtout d’économie, vous tournez le film français le plus cher de l’année. C’est à l’opposé de la mentalité actuelle…

« On pourrait dire oui, malheureusement. Oui c’est aussi pour ça qu’on tourne des films de plus en plus médiocres et qu’on propose aux gens de la soupe. La plupart sont tièdes. Je préfère un film génial pendant 10 minutes et raté pendant une heure. »

Parlez-nous de la scène de danse qui balaie 400 ans d’histoire…

« C’est celle qui m’a fait le plus peur. Elle entraîne une grosse rupture de ton. À l’écriture, elle était plus classique, et cela me dérangeait. En entendant une chanson de Billie Eilish, je me suis dit qu’il fallait faire danser là-dessus. J’ai réécrit la scène et envoyé une équipe faire les plateaux des 4 cours d’Europe. J’étais très soulagé au montage de voir comment, petit à petit, on a amené cette espèce d’humour et de dérision dans la rencontre entre Jonathan et Dracula. Cela commence à être un peu drôle, un peu sympathique, ça prépare à ce que la scène de danse arrive, mais elle m’a fait peur jusqu’au bout. J’aime bien glisser un petit clin d’œil humoristique parce que je ne suis pas un fan des films d’horreur. Je n’aime pas trop ça, je ne suis pas très fan de Dracula. Ce qui m’intéresse c’est l’histoire d’amour, jouer avec les codes. »

Vous semblez vous être fait plaisir en incluant de nombreuses références cinéphiliques…

« J’ai surtout l’impression d’avoir été influencé par la peinture. Il y a quelque chose de très pictural dans ce film. Au niveau de l’histoire, j’ai plus pensé à Roméo et Juliette qu’à Dracula. »

Vous avez un projet sur le feu ?

« Toujours. Truffaut disait que les films, c’est un peu comme les enfants : quand ils ont 18 ans ils quittent la maison, donc c’est mieux d’en avoir un chez soi, ça fait moins mal. Mon amour et ma foi pour l’art que j’aime n’ont jamais bougé depuis que j’ai 17 ans. Pour que j’arrête de faire des films, il faudra me tuer. »

On en revient toujours à la comparaison avec Dracula…