Bermuda, chemise entrouverte, cigarette à la main. C’est dans son atelier, mitoyen de sa petite galerie, que Stéphane Javier nous a donné rendez-vous, près de la citadelle, à quelques pas du Musée de Bastia. Il nous sort un journal, France-Soir, dans lequel son nom apparaît en couverture. Il a alors 10 ans et demi et vient de remporter un prix du meilleur dessin, lors d’un concours qui a réuni près de 12 000 enfants de son âge.
« J’avais dessiné un oiseau corse, déjà ma source d’inspiration était sur l’île. » Rien pourtant, ne prédestinait ce brun aux yeux bleus, né en 1963, à un tel talent. Un père préparateur en pharmacie, qui troquait, parfois, la blouse pour le pinceau. Une maman mère au foyer. Il se souvient en revanche de ses grands-parents, d’origine corse, qui ont gagné la capitale après la guerre de 14-18. « Ils y ont ouvert une brasserie, voilà pourquoi j’ai grandi à Paris ! »
« J’aime suggérer les choses »
Tout s’enchaîne très vite. Il entre aux Arts appliqués à Duperré, à Paris, passe par l’institut d’études supérieures des arts. Et puis le lancement de sa carrière à Sainte-Lucie-de-Tallano d’abord, lors d’une foire artisanale. « C’est là que j’ai vendu mes premières œuvres. »
Vendre, le nerf de la guerre. Pour nous le raconter, il n’hésite pas à monter sur scène, prend un tableau. Il s’improvise alors commissaire-priseur. Salle 13 de l’hôtel Drouot, étude Million. « Stéphane Javier, début des enchères à 100 euros », imite-t-il. Il fait monter les prix, 200, 300. Il sera finalement adjugé 450 euros… « J’étais un peintre anonyme. Et pourtant, ce petit tableau, on me l’a acheté, précise Stéphane Javier. C’est ce qui fixe encore aujourd’hui la cote de mes tableaux. »
Les mises en scène, il aime ça, surtout les peindre. Les ruelles, les façades où pend du linge à sécher, dont on décèle l’odeur du savon. Des scènes parfois bruyantes, comme ce café où semblent flâner les amitiés. Mais toujours le même sens du toucher, ces couleurs mélangées à même la toile. Un impressionniste du XXIe siècle. Ce n’est peut-être pas un hasard qu’il cite Renoir. « Quand on se recule, tout s’organise. J’aime suggérer les choses », précise ce « paysagiste urbain ».
La religion comme guide
Mais comment ne pas raconter cette lumière qui semble inonder toutes ses œuvres ? En bon catholique, lui qui ne se dit pourtant pas pratiquant. « La religion occupe une place centrale dans mes œuvres. » Peut-être pour cela aussi qu’il aime tant transmettre. « Je donne des cours pour tous niveaux en petits effectifs ». Les prochains ont lieu en octobre, lui qui rêve d’ouvrir une académie à Bastia. Il n’a certes pas l’âge de s’arrêter mais tout de même celui de penser à l’après. Sa messe funéraire, par exemple, il la voudrait à l’église Saint-Charles. Là où repose l’une de ses œuvres, un fait rare pour un artiste de son vivant. « J’aurai alors tout gagné », conclut-il.