Par
Maréva Laville
Publié le
31 juil. 2025 à 7h12
« Ça grouillait ! Il y en avait des millions, peut-être des milliards ! » C’était il y a seulement dix jours. Jacques Beauville, agriculteur retraité de Saubens, au sud de Toulouse, a vu sur ses anciennes parcelles, une nuée de… punaises de céréales. Cette année, ceux qui ont pris sa relève, ont cultivé du colza. Non sans conséquence, puisque le maire de Saubens, Jean-Marc Bergia, a été alerté d’une véritable invasion dans sa commune. Et il n’est pas le seul. « Ça concerne l’ensemble de la région Occitanie. On a reçu plusieurs alertes en Haute-Garonne, surtout dans le Lauragais où des maraîchers sont touchés, mais aussi du côté de Buzet-sur-Tarn, Gragnague ou Roquettes », indique la Chambre d’agriculture contactée par Actu Toulouse. Du jamais ou très rarement vu. Mais quelle est donc cette mini-bestiole et pourquoi prolifère-t-elle autant cet été ?
« Toute sa façade était couverte ! »
Partout autour de Toulouse, les questions se posent. Car l’affaire qui n’aurait pu concerner que les agriculteurs, touche l’ensemble de la population. « Après les moissons, un habitant de Roquettes, dont le jardin se trouve côté Saubens, s’est retrouvé envahi de punaise. Toute sa façade était couverte ! Sur tous les murs qui sont chauds et dans le jardin », rapporte le maire de Saubens.
Au début, le phénomène n’affectait que les maisons jouxtant les champs de maïs et de colza*. « Mais maintenant, le lotissement à l’intérieur du village, qui se trouve à l’opposé de l’habitant qui s’est manifesté en premier, est touché ! », affirme Jean-Marc Bergia. Si ces habitations sont récentes, les premières maisons infestées datent « d’au moins 20 ans », assure le maire.
Or en autant d’années, « on n’avait jamais vu ça ! », assurent l’élu et l’agriculteur de la commune interrogé par Actu Toulouse.
D’autres épisodes en Haute-Garonne par le passé
Pourtant, l’histoire montre que celles surnommées « punaises de colza » ont pointé le bout de leur nez à deux reprises, en 2016, en 2019 et en 2020, en Haute-Garonne, mais aussi dans le centre de la France et la Loire-Atlantique. Dans le Lauragais, le village de Sainte-Julia en avait aussi été victime, comme le rapportait La Voix du Midi Lauragais en 2022. Mais l’apparition des punaises de céréales (de leur vrai nom) reste toutefois « peu fréquente », mentionnait, dès lors, le laboratoire Terres Inovia de Baziège. Et surtout : elle s’observait davantage au moment des semences « dans des conditions chaudes et sèches ».
Or, cette année, la pullulation de punaises de céréales remonte à la mi-juillet, soit bien après les moissons qui datent de la fin du mois de juin, et dans un environnement plutôt frais par rapport à la canicule du mois de juin. Alors comment expliquer leur soudaine arrivée ?
La chaleur recherchée et des sols non-travaillés
Le mystère n’a pas encore été entièrement élucidé, mais plusieurs hypothèses se rejoignent. On sait que ces punaises « aiment les températures chaudes et les environnements secs », explique Nathalie Eychenne, ingénieure agricole dans le domaine végétal. Et que lorsque ces conditions climatiques se réunissent durant l’été, des invasions peuvent s’observer aux mois de juillet, août et septembre, dans les cultures de colza essentiellement (d’où son autre nom « fausse punaise des céréales », le colza n’étant pas une céréale, NDLR) mais aussi d’autres espèces, telles que le chou, soja, tomate, tournesol, olivier, trèfle, etc..
À cela, il faut ajouter, selon Jacques Beauville, le manque de travail des sols « du fait de la sécheresse ».
Cette année, et c’est une différence notable par rapport aux autres années, les agriculteurs n’ont pas travaillé les sols après avoir récolté. S’ils avaient déchaumé sur 5 à 10 cm de sol, beaucoup de larves auraient été tuées
Jacques Beauville
agriculteur retraité de Saubens et ingénieur agricole
Mais pourquoi ces petits insectes ont-ils migré vers les habitations voisines et ne se cantonnent pas aux terres agricoles ?

Venues des champs, les punaises des céréales ont atteint les maisons. (©DR / Mairie de Saubens)Des bébés punaises en quête de nourriture ?
Les punaises des céréales observées actuellement sont au stade juvénile, et ne mesurent qu’environ 1 mm. Il ne s’agit donc que de « bébés » s’alimentant de végétation. D’après l’étude du laboratoire Terres Inovia, les larves cherchent le colza (mur ou en pleine levée) ou bien les repousses de colza. Ces dernières apparaissent suite aux moissons « parce que des graines ressortent de la moissonneuse et dès qu’il pleut un peu, elles germent facilement et créent un tapis de colza », explique Aymeric Desarnauts, conseiller Grandes cultures à la Chambre d’agriculture de Haute-Garonne.
Or cette année, d’après ce conseiller, il n’y a pas trop de repousses dans les champs.
Je pense qu’elles n’ont rien à grignoter et que c’est peut-être pour cela qu’elles migrent dans les jardins des habitants : pour chercher de quoi se nourrir.
Aymeric Desarnauts
conseiller grandes cultures à la Chambre d’agriculture de Haute-Garonne
Le cycle des insectes à son apogée
Une hypothèse non partagée par l’ancien agriculteur de Saubens, également ingénieur agricole. D’après son observation, les larves auraient trouvé refuge dans les mauvaises herbes sèches coincées entre les colzas. « On appelle ça du ray-grass. C’est une graminée, qui appartient donc à la famille des céréales. » C’est ici, selon sa théorie rejointe par l’ingénieur Nathalie Eychenne, que les punaises seraient arrivées, avant de, tout bonnement, suivre leur cycle d’insecte…
D’un œuf naît une larve, puis un insecte qui va ensuite s’accoupler, pondre, puis mourir. « Ce qu’il se passe aujourd’hui pourrait correspondre au stade de la reproduction », avance Jacques Beauville. En atteignant leur taille adulte (environ 2,5 mm), les punaises développent des ailes. C’est à ce moment que les punaises des céréales s’en iraient d’elles-mêmes, tel un vol nuptial. « Compte tenu du bon sens paysan, on se dit qu’elles vont disparaître comme elles sont arrivées. »
Mais il ne s’agit que d’une supposition. Car l’agriculteur concède : « on n’a pas vraiment d’explications… »
La pluie ou l’eau, à défaut, comme seul remède
« On se sent démunis. On a très peu de solutions », confie le maire de Saubens, à l’image de bien d’autres. Aucun insecticide ne s’est avéré efficace dans le traitement des punaises de céréales. « Seule l’irrigation ou le retour de pluies calment le phénomène en permettant la dispersion des larves », explique le laboratoire Terres Inovia.
C’est l’unique chose qui reste certaine à ce stade : les punaises n’aiment pas l’eau. En 2022, à Sainte-Julia, elles avaient disparu après deux à trois semaines d’existence, suite aux orages.
Alors, en attendant les précieuses gouttes de pluie, il est préconisé d’asperger les murs extérieurs avec un jet d’eau à haute pression, dans le respect des restrictions pour lutter contre la sécheresse. Et d’éventuellement pulvériser du savon noir pour que les insectes « patinent ».
Aucun danger pour la santé
Mais le mieux reste encore de patienter en gardant en tête la bonne nouvelle : les punaises des céréales sont inoffensives, ni dangereuses pour les animaux, ni dangereuses pour l’Homme. Des faits confirmés par l’Agence régionale de la Santé.
*N.B : La Haute-Garonne compte 10 000 hectares de colza cette année.
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