Toma déambule dans la boutique animée par des notes de blues. « Ici, on amène les gens à prendre le temps dans les rayons », commente le cogérant des lieux, lunettes carrées, chemise à fleurs et large sourire aux lèvres. Balades Sonores, né il y a vingt ans de l’amour de la musique ― et de l’amour tout court ― de Toma et sa compagne Esther, est l’un des 300 disquaires que compte encore la France, dont une petite centaine établie à Paris.
« On a toujours eu le vinyle sous le bras », assure celui qui était auparavant vendeur itinérant dans les festivals et les concerts. Entre Barbès et la butte Montmartre (XVIIIe), ce marchand de vinyles indépendant traverse une période difficile. Les bouleversements de l’industrie musicale liés au streaming ont réduit leur trésorerie, déjà impactée par d’autres ennuis financiers, à peau de chagrin. « C’est la première fois qu’on admet publiquement qu’on galère », se désole Toma.
« On ne fait pas de la charité »
Fin juin, le couple a pris la parole face caméra sur les réseaux sociaux pour demander de l’aide à ses fidèles. « On ne fait pas de la charité, on dit aux clients que s’ils ont quelques euros à dépenser chez nous, ça peut vraiment nous aider. »
Message reçu. Lorsqu’elle a eu vent de leurs difficultés, Delphine, quadragénaire habituée des lieux, a tout de suite voulu soutenir Toma et Esther. Et elle a acheté des cartes cadeaux dans la boutique, pour les faire gagner lors des apéros de soutien organisés depuis quelques semaines, dont le prochain a lieu ce jeudi 31 juillet, avec l’oiseau de nuit Nicolas Ullmann, DJ et musicien parisien, aux manettes.
« J’ai tout de suite senti l’ambiance familiale de cet endroit unique dans l’écosystème musical », poursuit Delphine, qui ne peut pas imaginer sa vie sans cet endroit où elle trouve « du réconfort » quand ça ne va pas. Comme elle, « les clients nous aident beaucoup, nous offrent des choses que l’on peut vendre ensuite, explique Toma, notamment des dessins et des photos ».
Depuis son appel à l’aide, « nous retrouvons peu à peu des couleurs, même s’il y a encore du chemin à faire », explique le couple sur la page Instagram de sa boutique. Balades Sonores se donne le mois d’août pour prendre une décision quant au maintien ou non de son activité. « On verra si ça passe ou si ça casse », résume Toma.
Une boutique pour « créer du lien »
À l’image de beaucoup de boutiques indépendantes, la pandémie a fragilisé le disquaire. « Mais on a fait le choix de renforcer le lien et le physique plutôt que la vente en ligne », explique Toma, même si leur site web propose de passer commande parmi leurs 35 000 références en ligne. D’ailleurs, les progrès de technologie et de géolocalisation leur indiquent que les clients passent plus de temps dans leur boutique qu’avant. Rien de plus satisfaisant pour ses gérants, qui l’ont pensée pour « créer du lien ».
Ici les showcases sont hebdomadaires, les expositions régulières et les soirées font la promotion de tous les artistes, petits comme grands. De quoi satisfaire les habitués en quête de contact humain comme Bertrand, gros consommateur de disques et de musique, qui vit à 50 m de là.
« Je suis très attaché au fait de me rendre dans un lieu pour acheter de la musique, explique ce riverain. C’est important pour moi d’avoir, au-delà d’un algorithme, quelqu’un qui me conseille. Le lien social que permet cet endroit dans une grande ville comme Paris est magique. La musique existait avant eux, elle existera après eux. Mais ce qui m’inquiète, c’est qu’un lieu comme ça disparaisse. »
Plusieurs façons d’aider les gérants
Nouveaux albums, occasions, rééditions, bande sons de films et de jeux vidéo, et même quelques cassettes… Chaque coin de Balades sonores a sa thématique, sa tranche de prix. Dans le fond du magasin, une sélection débordante mais très organisée de vinyles du monde entier ― « Around the world » ― remplit les étagères, classée par régions et continents, de l’Afrique au Moyen-Orient en passant par les Antilles et l’Amérique du Sud.
« Disquaire éclectique (et bien plus) » : le lieu annonçait la couleur dès la porte d’entrée. « Et nos collections grandissent grâce aux demandes des clients », ajoute Esther, qui gère une commande en ligne, un disque de Green Day à la main. Le vinyle connaît un nouveau souffle depuis les années 2010, faisant croître de 1,3 % les ventes de supports physiques en 2024 ― une première depuis les années 1980 selon le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP).
Pour Toma, acheter un vinyle permet de « transmettre la musique autrement, partager le disque avec les autres, à la différence d’un disque acheté en streaming ». Faire un don sur leur site, adhérer au programme de fidélité, ou bien tout simplement s’offrir un disque… Tous les moyens sont bons pour que la boutique ― et les vinyles ― continuent de tourner.