En regardant Léon Marchand entrer tête la première avec ses lunettes dorées, jeudi 31 juillet, dans les eaux du Sports Hub de Singapour, la question n’était pas tant de savoir si le Toulousain allait toucher le mur en premier à l’arrivée. Mais plutôt de voir si son chrono serait encore inférieur à celui réalisé la veille, lorsque le Français avait sidéré ses voisins de ligne d’eau en demi-finale, en rabotant d’une seconde et 31 centièmes (1′52’’69) le record du monde de l’Américain Ryan Lochte, qui datait de 2014.
Le «roi Léon» aura certes été moins supersonique en finale du 200 m quatre nages. Reste qu’en avalant ses quatre longueurs en 1′53′’68, il a signé la deuxième meilleure performance de l’histoire, et s’est surtout offert une troisième couronne mondiale consécutive sur la distance, devant ses deux copains, ses partenaires d’entraînement aux Etats-Unis, l’Américain Shaine Casas (1′54′’30) et le Hongrois Hubert Kos (1′55′’34).
Casas est même resté étonnement longtemps dans ses radars, finissant avec un chrono meilleur que le record personnel de Michael Phelps. Pour une fois, le Français a paru moins facile. «Je savais que ça allait être dur, parce que j’ai très mal dormi la nuit dernière. J’étais tout excité, j’avais beaucoup d’adrénaline, a admis le hors-bord toulousain. J’ai essayé de lire, de me calmer, mais ce n’était pas facile. J’avais un flot de pensées constant. […] J’ai pris de la mélatonine pour m’endormir rapidement… Impossible. J’ai raté le train.»
Le Texan est malgré tout arrivé à l’heure sur le sautoir, offrant au public une valse à quatre temps maîtrisée, sans fausse note. Le voilà désormais détenteur de six couronnes mondiales, dont trois consécutives sur cette distance.
Première partie de mission accomplie pour le héros des JO, qui débarquait en Asie avec peu de repères, mais assuré et confiant. Le cerveau remis à l’endroit, après une année post-Jeux en dents de scie.
Il a d’abord dû se confronter à l’inconnu, à ce nouveau statut de superstar du sport tricolore, phénomène planétaire des bassins aux quatre titres olympiques, alimentant la transe collective dans tout le pays l’été dernier. Dans ces conditions, comment reprend-on le cours de son existence, tout en préparant la suite ?
«C’est une année un petit peu différente des autres», reconnaît Nicolas Castel, son entraîneur historique à Toulouse, qui le suit depuis ses 12 ans, aux côtés de son autre entraîneur Bob Bowman, aux Etats-Unis. «Après les Jeux, il y a eu une période où c’était un peu plus compliqué de reprendre l’entraînement. Donc il a fallu lui laisser du temps pour profiter, se régénérer, se reposer.»
Léon Marchand a pris son temps. Il s’est posé pour réfléchir à une préparation sur-mesure, écourtée, en ciblant un nombre restreint de compétitions. Il a axé son début 2025 en travaillant autour de ses deux points faibles : le crawl et le dos. Avec en ligne de mire cette quête de record du monde sur 200 m quatre nages. Quête renforcée début novembre, lorsqu’il s’est emparé du record de Lochte, déjà à Singapour, mais en petit bassin (25 m au lieu de 50 m, 1′48′’88 contre 1′49′’63 en 2012).
Un semblant de reprise. A l’époque, la fatigue générale le rattrape. Le quadruple champion olympique décide alors de s’exiler. Il prend un billet pour l’Australie. Il y reste trois mois, dont une partie du temps à Brisbane, entre découverte du pays et sessions de surf sur la Gold Coast. On l’aperçoit aussi dans les travées à Melbourne pour la finale de l’Open de tennis, ou encore dans les paddocks du Grand Prix de Formule 1. Le Toulousain n’a pas fait que du tourisme : il a aussi plongé sous les ordres de Dean Boxall, une sorte de Philippe Lucas national, qui a façonné les Australiennes Ariarne Titmus ou Mollie O’Callaghan, aujourd’hui deux reines de la natation mondiale.
En réalité, «ce n’était pas vraiment une pause» en Australie, corrige Castel. «Ce n’était pas “plage et soleil”, l’idée c’était d’aller voir un peu ce qui se passe ailleurs dans le monde de la natation, parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire. C’est bien parfois d’aller explorer d’autres choses. Il s’est entraîné et a repris une forme physique assez rapidement.»
Retourné au printemps dans les piscines texanes, il a ensuite sélectionné avec son équipe trois courses de reprise. Fait rarissime : la Fédération française de natation l’a exempté d’une participation aux championnats de France mi-mai, lui évitant ainsi un aller-retour éreintant, avec ces sollicitations médiatiques et populaires annexes qui prennent de l’énergie. Une sorte de remerciement pour service rendu à la Nation.
Léon Marchand le rend bien à la FFN cette semaine. Il peut désormais se préparer sereinement pour la troisième partie de son plan : conserver son titre sur 400 m quatre nages. Une distance dont il est aussi détenteur du meilleur chrono mondial, un record qu’il avait raflé lors des derniers Mondiaux de Fukuoka, en 2023. Bis repetita dimanche ?
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