Il aura fallu attendre que Marc Marquez porte les
couleurs de Ducati pour que Gigi Dall’Igna, le cerveau technique de
la firme de Borgo Panigale, comprenne pleinement ce qui les a tant
empêchés de triompher par le passé. Dans un moment de franchise
rare capturé dans la série documentaire Inside de Ducati, le
directeur général a lâché ces mots à Márquez après le Grand Prix de
République tchèque :
« Je le savais déjà… mais maintenant je comprends
vraiment pourquoi nous n’avons jamais pu battre un
championnat contre toi. »
Des mots lourds de sens, venant de l’homme qui a métamorphosé
Ducati en une machine à gagner — mais qui, malgré
ses efforts, s’est vu barrer la route du titre à maintes reprises
par le phénomène espagnol lorsqu’il était encore chez
Honda.
La scène a tout d’un renversement historique. Celui qui, de 2013
à 2019, a constamment frustré les ambitions mondiales de
Ducati en s’imposant six fois champion du monde
avec Honda, est aujourd’hui leur fer de lance. Et
il n’a pas perdu la main.
Transféré chez Gresini en 2024, Marquez a
immédiatement redonné un souffle mythique à sa carrière : trois
victoires cette première année, puis une montée inéluctable vers
l’équipe usine en 2025. Depuis, c’est l’ouragan. À la pause
estivale, il compte déjà huit victoires en Grand
Prix, 11 sprints remportés et 120
points d’avance au
championnat.
Sa victoire à Brno, la cinquième d’affilée en
GP et en sprint, marque un tournant. Non seulement il devient le
premier pilote Ducati à signer cinq doublés
consécutifs, mais il inscrit surtout sa 70e victoire en
catégorie reine, le hissant à la deuxième place historique
derrière Valentino Rossi. Une légende parmi les
légendes.
Ducati face au mystère Marc
Marquez
Les années 2017 à 2019 ont été celles d’un duel acharné entre
Marquez et Ducati, incarnée à
l’époque par Andrea Dovizioso. Un mano a mano
épique, notamment en 2017, avec une dernière bataille à Valence.
Pourtant, malgré une Desmosedici solide et en constante évolution,
Ducati échouait. Marquez trouvait
toujours la faille.
Aujourd’hui, Dall’Igna voit l’envers du décor.
Il observe Marquez de l’intérieur. Ses données.
Son approche. Sa capacité à plier une moto à sa volonté dans les
phases critiques. Et il comprend enfin ce que
Ducati affrontait toutes ces années : un pilote
d’un autre niveau, capable de transcender les limites
techniques.
Ironie de l’histoire, Ducati a longtemps hésité
à offrir une de ses machines à Marquez. Trop
risqué, trop politique, ou trop explosif pour une hiérarchie bien
huilée ? Aujourd’hui, cette réticence appartient au passé. Et cette
association, jadis inimaginable, est peut-être en train de devenir
l’une des plus efficaces de l’histoire du MotoGP.
À mi-saison MotoGP, le
doute n’est plus permis.
Marc Marquez sur une Ducati,
c’est la rencontre d’un génie avec l’arme la plus redoutable du
plateau. Et
Dall’Igna, avec l’humilité d’un ingénieur
lucide, en tire la conclusion qui s’impose : « on ne pouvait
pas le battre… parce qu’il est tout simplement au-dessus.
»